Insee : la bande frontalière en Franche-Comté, un territoire lié à l’économie suisse

Publié le 16/06/2020 - 10:01
Mis à jour le 16/06/2020 - 09:25

L’Insee Bourgogne Franche-Comté s’est intéressée au territoire transfrontalier entre notre région et la Suisse. Emploi, chômage, pouvoir d’achat, attractivité… Découvrez la dernière étude menée par Christine Charton et Hélène Ville de l’Insee.

A l’est de la région Bourgogne-Franche-Comté s’étend un territoire frontalier où 36 % des actifs travaillent en Suisse. La moitié des couples, qu’ils comptent un ou deux actifs, sont concernés par le travail frontalier. Les rémunérations élevées des frontaliers en font un des territoires les plus aisés de l’Hexagone. Très attractif, sa croissance démographique est atypique au sein d’une région qui perd désormais des habitants. Par conséquent, l’économie locale devient de plus en plus résidentielle. La bande frontalière est un territoire où le taux de chômage est parmi les plus faibles de la région.

Chaque jour, plus de 35 000 actifs de Bourgogne-Franche-Comté vont travailler en Suisse. Ce pays constitue un pôle d’ emploi externe important pour la région, loin devant l’ Île-de-France et la région Auvergne-Rhône-Alpes qui accueillent respectivement 18 000 et 12 000 actifs de notre région.

À l’échelle de la région, les travailleurs frontaliers ne représentent que 3,5 % de la population active. Mais leur présence est massive le long de la frontière : 28 300 frontaliers, soit près de 80 % d’entre eux résident dans la « bande frontalière », territoire plutôt rural où la principale commune est Pontarlier (25 500 habitants), suivie de Morteau (7 000) et de Villers-le-Lac (5 000). Ici, 36 % de la population active travaille en Suisse. Au total, 44 % des 171 000 habitants sont concernés par le travail frontalier, c’ est-à-dire qu’ils appartiennent à un ménage comptant au moins un actif frontalier.

Avec sa proximité de la Suisse et le travail frontalier que cela génère, la bande frontalière constitue un territoire atypique non seulement au sein de la région Bourgogne-Franche-Comté mais aussi de l’Hexagone.

Trois destinations suisses principales

Les 28 300 travailleurs frontaliers de la bande frontalière se rendent principalement dans trois communes suisses proches de la frontière : la Chaux-de- Fonds et Le Locle dans le canton de Neuchâtel ainsi que Le Chenit dans le canton de Vaud. Dans ces communes très industrielles sont localisés de nombreux établissements du secteur de l’ horlogerie relevant d’ entreprises appartenant à des groupes multinationaux comme Tissot, Cartier, Rolex ou Swatch. De fait, près de la moitié des frontaliers, principalement des ouvriers qualifiés, travaillent dans l’horlogerie où ils bénéficient de salaires plus élevés que ceux auxquels ils pourraient prétendre en France. D’autres se rendent dans des pôles plus diversifiés et plus éloignés comme ceux de Nyon ou de Lausanne au bord du lac Léman, où ils travaillent dans les hôpitaux et la restauration à parts égales avec l’horlogerie.

Des couples de frontaliers

Dans la bande frontalière, près de la moitié des couples comptant au moins un actif sont concernés par le travail frontalier, soit 16 000 couples. Un quart d’entre eux (4 200) sont des couples de frontaliers, c’ est-à-dire que l’ un et l’autre des conjoints travaillent en Suisse. Pour les autres couples où un seul conjoint est frontalier, il s’agit de l’homme dans 73 % des cas. L’autre conjoint travaille dans deux tiers des cas. Dans ce type de couple, lorsque la femme travaille en France, elle exerce alors une activité principalement dans l’accueil de jeunes enfants, l’administration ou les activités hospitalières.

L’organisation du travail frontalier au sein des couples répond à plusieurs exigences : la recherche d’un salaire plus élevé en Suisse mais aussi le souci de garder une couverture sociale française et de concilier travail et vie de famille.

Les trajets pour travailler en Suisse sont plus longs que les trajets des non frontaliers : 79 km aller et retour contre 45 km en moyenne. Le différentiel est probablement plus important si l’on considère les embouteillages sur les routes qui traversent la frontière et qui touchent même ceux qui habitent tout près de leur lieu de travail suisse. Dans ce contexte, occuper deux emplois frontaliers au sein de la même famille est parfois difficile. D’autant que les deux tiers des couples de frontaliers ne travaillent pas dans la même commune suisse, ce qui nécessite deux moyens de transport différents, sou- vent deux voitures, sans parler de la gestion éventuelle des enfants.

Niveau de vie élevé des ménages frontaliers

Les salaires suisses, très élevés, assurent aux ménages frontaliers (ménages qui comptent au moins un actif frontalier) des revenus disponibles (après redistribution) très supérieurs à ceux des autres ménages de la région. Ainsi le revenu médian annuel par unité de consommation des ménages frontaliers s’élève à 36 500 euros (soit 3 000 euros mensuels) contre 20 600 euros pour l’ensemble des ménages de la région (1 700 euros mensuels). Pour un couple avec deux enfants, cela correspond à 6 300 euros par mois dans le cas d’une « famille frontalière » et à 3 500 euros pour une famille dans l’ensemble de la région. À noter que 90 % des ménages frontaliers perçoivent plus que le revenu médian de la région : 1 900 euros mensuels contre 1 700 euros.

Ces écarts de revenus entre les ménages frontaliers et les autres ne s’ expliquent pas seulement par des écarts de salaires, mais aussi par des écarts dans les types de revenus perçus. Par définition, les ménages frontaliers sont actifs et tirent l’essentiel de leur revenu d’un salaire contrairement aux ménages « ordinaires » de la région, plus âgés dont les revenus proviennent pour un quart des pensions de retraite.

De par la forte présence de frontaliers, la bande frontalière fait partie des territoires de Bourgogne-Franche-Comté et même de l’Hexagone où le niveau de vie est le plus élevé. C’est aussi un des territoires les moins concernés par la pauvreté : seulement 7,4 % de sa population vit sous le seuil pauvreté contre 13 % pour l’ensemble de la population régionale. Presque aucun des ménages frontaliers ne vit en dessous du seuil de pauvreté.

Un territoire jeune et attractif

Entre 2016, plus de 6 500 personnes sont venues s’installer dans la bande frontalière. Près de la moitié sont concernés par le travail frontalier. Ils sont sur-représentés parmi ces nouveaux arrivants, une part supérieure à celle des ménages frontaliers dans l’ensemble de la population (44 %), qui souligne le lien entre cette attractivité et la proximité de la Suisse. L’origine géographique des nouveaux arrivants diffère selon qu’ils sont frontaliers ou pas. Elle est plus diversifiée pour les nouveaux frontaliers qui viennent principalement de quatre destinations : le reste du département du Doubs, la Haute-Savoie, l’Ain et la Suisse.

Quelques-uns d’entre eux travaillaient probablement déjà en Suisse et choisissent de résider dans l’Arc jurassien où le prix du foncier est un peu moins élevé que dans d’autres territoires frontières de la Suisse comme le Pays de Gex. Lorsqu’ils ne sont pas frontaliers, les actifs qui s’installent ici viennent pour l’essentiel du reste du département du Doubs, attirés par les opportunités d’emplois locaux d’un territoire en plein développement. Avec un gain de 1 300 habitants chaque année entre 2012 et 2017, soit un taux de croissance de 0,8 % de la population, la bande frontalière fait figure d’exception dans une région Bourgogne-Franche-Comté qui perd des habitants au rythme de 1 % par an durant la même période.

La jeunesse de la population de la bande frontalière contribue aussi à sa croissance démographique. Ici les naissances l’ emportent largement sur les décès, la bande frontalière est un territoire où les familles et les jeunes actifs sont très présents. Ainsi, les frontaliers sont plus jeunes et vivent davantage en famille que les autres actifs.

Cette attractivité résidentielle se traduit aussi par une artificialisation croissante du territoire, d’autant que la maison individuelle est ici l’habitat le plus fréquent dans ce territoire rural et peu dense.

Renforcement de l’attractivité depuis les années 2000

L’ attractivité de la bande s’ est accélérée à partir des années 2000, suite à l’accord sur la libre circulation des personnes signé entre la Suisse et l’Union européenne. Cet accord a favorisé le travail frontalier et, en levant l’obligation de résider à 10 km de la frontière, il a aussi contribué à étendre le périmètre de la bande plus loin de la frontière. La hausse du nombre de frontaliers est passée de 2,4 % par an entre 1990 et 2006 à 4,9 % par an entre 2006 et 2016.

Une économie de plus en plus résidentielle

L’ économie de la bande frontalière est aussi très impactée par la proximité de la Suisse. Les emplois dans le commerce et les services s’ y développent, stimulés par la hausse du nombre d’habitants, le pou- voir d’achat des frontaliers et la clientèle suisse. S’ajoute aussi le tourisme, dans ce territoire de moyenne montagne qui compte de nombreux lacs et plusieurs stations de ski. Ainsi, entre 2012 et 2017, la bande frontalière a gagné 300 emplois tertiaires alors que dans le même temps la région en perdait 57 000, pour partie des emplois intérimaires.

Ici comme dans le reste de la région, l’industrie a perdu des emplois. Le secteur historique de l’ horlogerie a quasiment dis- paru tandis qu’il se développait en Suisse sur le haut de gamme comme Rolex ou sur des produits innovants comme Swatch. Restent dans la partie française quelques fabricants de mécanismes de précision et surtout un lycée de formation aux métiers de l’horlogerie à Morteau qui forme une partie de la main d’œuvre frontalière. La lunetterie, autre spécialité du Haut-Jura a aussi perdu de nombreux emplois. Seule l’industrie agroalimentaire conserve une forte implantation liée à la fabrication du Comté, produit AOC emblématique en lien avec une agriculture très présente et orientée pour l’essentiel dans l’élevage de bovins lait.

La bande frontalière devient ainsi un territoire résidentiel, animé par quelques pôles d’emploi tertiaires comme ceux de Pontarlier et des Rousses ou celui de Morteau qui conserve aussi une économie agricole.

La création d’entreprises témoigne aussi du dynamisme de la bande frontalière. Entre 2016 et 2018, 1 100 entreprises ont été créées, soit un taux de création de 12 % (nombre d’entreprises créées rapporté au stock d’entreprises existantes), légèrement supérieur au taux régional de 11 %. C’est dans le tertiaire, commerce et services que le taux de création est le plus élevé, 13 %, en lien avec l’orientation présentielle de l’économie de ce territoire.

Faible taux de chômage

La population de la bande frontalière dis- pose donc de nombreux emplois de part et d’autre de la frontière, les emplois en Suisse, pour l’ essentiel dans l’ industrie et les emplois locaux dans le commerce et les services. Ici les taux d’emploi (part de personnes en emploi parmi la population) sont élevés. Le taux d’emploi des hommes (de 15 à 64 ans) dépasse les 75 % contre 68 % en moyenne dans l’ensemble de la région et celui des femmes atteint presque les 70 % contre 62 %. En particulier ce marché du travail est très favorable aux jeunes : 55 % des 15-24 ans sont actifs contre 45 % en moyenne dans la région.

Conséquence, le taux de chômage est plus faible dans la bande frontalière : il était de 5,8 % fin 2019 dans les zones d’emploi de Pontarlier et de Morteau contre 7,2 % en moyenne dans l’ensemble de la région. Ces forts taux d’emploi et faibles taux de chômage génèrent parfois des difficultés de recrutement pour des entreprises locales qui ne peuvent offrir des salaires aussi attractifs que les entreprises suisses.

Infos +

Le nombre de frontaliers parmi la population active française de cette étude est mesuré par le Recensement de population de l’Insee (enquêtes de recensement de 2014 à 2018 qui donnent une information millésimée 2016) fournit le lieu de résidence et le lieu de travail de toutes les personnes résidant en France. Il permet donc de compter les actifs qui résident en France et travaillent à l’étranger. La multitude de thèmes abordés permet d’obtenir des informations sur leur profil socio-démographique (âge, sexe, profession, conditions de logement...) et sur leur mobilité géographique (lieu de résidence antérieur).

Par ailleurs, l’Office statistique fédéral de la statistique suisse produit des informations sur les travailleurs frontaliers étrangers en activité dans les entreprises suisses (Statistique des frontaliers) avec quelques caractéristiques sur le secteur d’activité et le département de résidence. Cette statistique de source administrative permet un suivi conjoncturel trimestriel du travail frontalier, soit fin 2019, près de 37 500 résidents non suisses de Bourgogne-Franche- Comté exercent une activité professionnelle en Suisse.

La région partage avec la Suisse 230 km de frontières délimités du nord au sud par la rivière du Doubs puis le massif du Jura.

Le périmètre de la bande frontalière a été défini en mesurant la part d’actifs travaillant en Suisse par commune. Ont été retenus les EPCI (établissements publics de coopération intercommunale) dont la plupart des communes comptent au moins 40 % de frontaliers parmi les actifs.

Ce territoire regroupe 171 000 habitants soit 6 % de la population de la région. Il concentre à lui seul 80 % des frontaliers de Bourgogne-Franche-Comté.

(Communiqué : Christine Charton et Hélène Ville - INSEE)

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