Histoire: n’en déplaise à Victor Hugo, la Franche-Comté n’a rien d’espagnol

L’historien Paul Delsalle est catégorique. La Franche-Comté n’a jamais eu à subir le joug espagnol. C’est à la Flandre qu’elle a été rattachée à l’époque de la Renaissance.

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« Ce siècle avait deux ans ! (…) Alors dans Besançon, vieille ville espagnole... ». Paul Delsalle, maître de conférence à l'Université de Franche-Comté tente aujourd'hui encore de percer le secret de ces vers de Victor Hugo affublant la capitale comtoise d'un passé espagnol.
 
Après une dizaine d'années de travaux sur le sujet, cet universitaire conclut que « la Franche-Comté a été gouvernée à partir de Bruxelles et non de Madrid ». Et il met au défi ses confrères de trouver un seul administrateur espagnol en Franche-Comté entre 1493 et 1678, date à laquelle la Franche-Comté devient française.
 
« Dire que la Franche-Comté était espagnole, c'est comme si on disait aujourd'hui que la France est belge parce que la capitale de l'Europe c'est Bruxelles », enfonce-t-il le clou.
 
« C'est intéressant de voir comment l'histoire peut être déformée. Les légendes ont la vie dure. Mais on ne peut pas lutter contre Victor Hugo », ironise Paul Delsalle. L'écrivain n'est d'ailleurs pas le seul à avoir entretenu la confusion puisque l'historien Lucien Febvre, sans aller jusqu'à parler de Franche-Comté espagnole, n'a pas décelé les liens importants de la région avec les Pays-Bas.
 
En 1493, la Franche-Comté tombe dans l'escarcelle des Habsbourg avec une succession de dirigeants au nombre desquels Charles Quint qui était aussi roi d'Espagne, ce qui ne justifie pas de qualifier la région d'espagnole. « C'est un problème de cumul des mandats de la part de Charles Quint », poursuit l'historien. En effet, ce dernier était souverain des Pays-Bas, roi de Castille et d'Aragon tout comme son père Philippe le Beau avant lui et son fils Philippe II par la suite
 
La Franche-Comté de l'époque appelée Comté de Bourgogne, amputée de la région de Belfort-Montbéliard, était une petite province du Saint Empire rattachée politiquement et administrativement aux Pays-Bas, alors sous domination espagnole, comprenant la Belgique, une partie du nord de la France et le Luxembourg.
 
« Elle était donc gouvernée à partir de Bruxelles. Pour contrôler la Franche-Comté, Charles Quint a placé des Flamands ou des gens du Comté de Bourgogne », explique le professeur bisontin en précisant qu'il y a encore moins de raison de parler d'Espagne à propos de Besançon qui était « une cité impériale ne faisant pas partie du Comté de Bourgogne et relevait directement de l'empereur ».

A l'époque de Charles Quint, la situation ne posait aucun problème puisqu'il était à la fois empereur et comte de Bourgogne. En dehors de cette période, Besançon pourtant située en plein de la Comté, obéissait à d'autre règles.

 
 
 
 
Les fameuses grilles « espagnoles » de Besançon...
 
Des grilles en fer forgé témoigneraient à Besançon de l'influence hispanique au 15e et 16e siècle... Encore une légende démontée par Paul Delsalle. « Il se trouve que les hôtels particuliers munis de ce grilles étaient souvent en possession de Flamands qui avaient des forges dans la vallée de la Loue », explique l'historien qui note qu'à Dole, pourtant chef-lieu de la province, on ne trouvait par de grilles aux fenêtres...
 
D'ailleurs en matière d'architecture, on peut citer d'autres exemples comme la mauvaise habitude prise de dénommer la plus ancienne maison d'un village « la maison espagnole ». Là encore, aucun rapport avec l'Espagne.
 
Au contraire, on peut souligner l'influence flamande notamment pour le palais Granvelle à Besançon qui est l'oeuvre d'un architecte flamand du nom de Van Hoyen.
 
Autres idées reçues
 
Pillage: Les soldats de passage qui empruntaient « le chemin espagnol » pour se rendre en Flandre ont-ils ravagé la région comme on l'entend parfois? « Lors de leur passage, il n'y a pas eu de pillage. Au contraire, beaucoup de fortunes se sont créées, notamment à Vesoul, grâce au commerce engendré par la présence de soldats. On leur vendait nourriture et matériel. Ils étaient chaque fois entre 5 et 10000 soldats », précise Paul Delsalle
 
Vocabulaire: Après l'étude de plusieurs centaines de mots, l'historien bisontin n'a pas trouvé le moindre élément de vocabulaire calqué sur l'espagnol. Tous les noms se terminant par un z comme Rioz, Deluz ou Dalloz existaient bien avant la période concernée.
 
Culture: Terre de passage, la Franche-Comté n'a reçu aucune influence culturelle hispanique. Elle a toujours été francophone. Les érudits conversaient en latin, mais personne ne parlait espagnol.
 
Religion: Aucun culte particulier n'a été importé d'Espagne. Là encore c'est du côté de Bruxelles qu'il faut aller chercher avec notamment « l'importation » du culte marial Notre-Dame de Montaigu qui a pris racine à Gray, Besançon, Ornans, Pontarlier... Par ailleurs, on n'a trouvé aucune trace d'objets de culte espagnols dans toute la province.
 
Nourriture: Tomate, maïs... Combien pensent que ces deux légumes ont été importés d'Espagne ! Eh bien non. « Nous n'avons pas la moindre preuve de celà », avance l'historien bisontin. Il est même persuadé que le maïs est arrivé par la Bresse.
 
 
 
 
 
 
 
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