Faut-il légaliser le cannabis ?

Souvent résumée à une opposition entre tenants de l’ordre moral et soixante-huitards attardés, la question prend un nouveau tour avec la publication mercredi d’un rapport parlementaire qui entend « dépassionner » ce débat traversant désormais toutes les familles politiques.

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Malgré 50 ans de prohibition et une mobilisation policière croissante, la France reste le plus gros consommateur de cannabis en Europe, avec cinq millions d'usagers annuels et 900.000 fumeurs quotidiens. En léger recul, la consommation des mineurs reste deux fois supérieure à la moyenne européenne. Un "échec" sanitaire patent, malgré une politique qui cible plus les consommateurs de cannabis que les trafiquants. Sur les 160 000 infractions à la législation sur les stupéfiants relevées en 2020, 81 % concernent l'usage.

Le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin réaffirme avec force sa volonté de lutter contre les trafics, soutenu par Emmanuel Macron, qui exclut tout changement législatif et réclame plutôt "un grand débat national sur la consommation de drogues et ses effets délétères".

Après avoir auditionné plus de 100 spécialistes, médecins, policiers, magistrats, chercheurs, les députés revendiquent eux un travail fouillé, qui souligne aussi bien les risques de schizophrénie et de troubles anxieux pour les mineurs que l'échec de la politique répressive contre le cannabis.

"Il n'y a aucune naïveté de notre part, personne n'encourage à la consommation", explique le rapporteur général de la mission Jean-Baptiste Moreau, intéressé par le Canada, où la consommation des mineurs semble baisser après la légalisation, et où le marché noir recule sans pour autant disparaître.

"La lâcheté, c'est de continuer avec ce système prohibitionniste qui livre nos gamins aux trafiquants", tranche le député LREM de la Creuse.

Un avis largement partagé par les addictologues, rappelle Amine Benyamina, chef du service de psychiatrie et d'addictologie de l'hôpital Paul-Brousse à Villejuif. "Le cannabis n'est pas anodin comme toute drogue, mais il est moins addictogène et moins mortel que l'alcool et le tabac", résume le médecin. "Cela fait des années que nous réclamons une légalisation encadrée pour permettre une vraie politique de réduction des risques."

Manque de recul

Le corps médical n'est pourtant pas unanime. "Légaliser le cannabis, c'est faire passer le message que ce n'est pas toxique", oppose Jean-Claude Alvarez, expert toxicologue au CHU de Garches. Il alerte sur les dangers d'un cannabis "de plus en plus fortement dosé", qu'il retrouve "dans un grand nombre de prélèvements liés aux accidents de la route ou du travail".

Début 2019, près d'un Français sur deux (45%) se disait favorable à une légalisation, selon une enquête de l'Observatoire français des drogues et toxicomanies (OFDT).

Face à une opinion très partagée et un tabou qui a sauté à l'international - l'Uruguay, le Canada et 15 Etats américains autorisent l'usage récréatif du cannabis -, la classe politique se questionne de plus en plus, tous partis confondus.

Une poignée de députés LR ont ainsi participé à la mission parlementaire, présidée par Robin Reda (LR). Dans un communiqué commun, ils estiment qu'une légalisation "n'est pas possible", car "nous n'avons pas suffisamment de recul sur les expériences étrangères", mais réclament "un débat national" pour sortir de l'impasse actuelle.

Certains maires du parti ont eux ouvertement franchi le Rubicon. "Ce n'est plus une question d'être de droite ou de gauche", témoigne Arnaud Robinet, maire LR de Reims. L'ancien député reconnaît avoir "changé d'avis" depuis son arrivée à la tête de la ville, où les points de deal repoussent inexorablement après chaque démantèlement.

Légaliser, "c'est le moyen de contrôler le produit et d'avoir des recettes pour réorienter la police vers la lutte contre le trafic et pour donner de vrais moyens à la prévention", estime-t-il.

D'autres élus de terrain, comme Samia Ghali, maire adjointe de Marseille, s'alarment au contraire d'une "démission républicaine". Dans la cité phocéenne, "les dealeurs sont déjà passés à la cocaïne, le trafic ne va pas s'arrêter", soupire l'ex-socialiste. Pour elle, "on ferait mieux d'avoir des tests toxicologiques pour tous au travail."

"Le sujet divise toujours, mais l'étiquette ne compte plus comme avant", observe le député LFI Éric Coquerel, qui prépare une proposition de loi sur le sujet et assure avoir rallié des collègues MoDem et En Marche. "Quel que soit le bord politique, les pro-légalisation veulent tous un contrôle fort de l'État, personne ne défend un modèle très libéral comme au Colorado."

Des députés prônent une  "légalisation régulée"

Un rapport parlementaire met en lumière les échecs de la lutte antidrogue, alors que la France reste championne d’Europe de la consommation de cannabis.

Rémi Delatte, député LR de la 2e circonscription de Côte d'Or fait partie de la mission parlementaire "Réglementation et impact des différents usages du cannabis"

Les recettes fiscales liées a la légalisation (contrôlé) du cannabis pourraient s'élever jusqu'a deux milliards d'euros en France. De quoi financer en partie la prévention, notamment dans les lycées.

Les recettes fiscales liées à la légalisation (contrôlée) du cannabis pourraient s'élever jusqu'à deux milliards d'euros en France. De quoi financer en partie la prévention, notamment dans les lycées.

Légaliser le cannabis pour "reprendre le contrôle" face aux trafiquants et mieux protéger les mineurs. C'est ce que recommandent les députés d'une mission parlementaire dans un rapport publié mercredi, aux antipodes de la lutte antidrogue défendue par le gouvernement. "La prohibition adopte depuis cinquante ans un objectif inatteignable, sans jamais avoir les moyens de ses ambitions. Une légalisation régulée, c'est le meilleur moyen de reprendre le contrôle et de protéger les Français"  résume Caroline Janvier, la députée LREM qui a coordonné ce travail.

Pilotée par certains membres de la majorité présidentielle, la mission se défend de "faire preuve de laxisme" et constate "l'échec" des politiques publiques, après de multiples auditions de médecins, policiers, magistrats et chercheurs. "L'État assiste de manière impuissante à la banalisation du cannabis chez les jeunes et à la détérioration de la sécurité"  malgré une "politique répressive française qui coûte cher et mobilise à l'excès les forces de l'ordre", notent les députés. Le budget alloué à la police, à la gendarmerie et aux douanes pour la lutte antidrogue a quasiment doublé entre 2012 et 2018 pour atteindre 1,08 milliard d'euros annuels, remarquent-ils.

Le rapport déboulonne au passage le "mythe" d'une France parmi les plus répressives d'Europe.

Si l'usage de drogues est passible d'un an de prison et de 3 750 euros d'amende, l'immense majorité des consommateurs écope tout juste d'un rappel à la loi ou d'une amende.

Quant au trafic, la moyenne des peines prononcées pour la détention de 10 kilos de cannabis classe la France comme… le troisième pays européen le moins répressif. En cas de légalisation, les recettes fiscales pourraient atteindre "2 milliards d'euros" et financer en partie la prévention, qui se résume souvent à une séance d'information par an, organisée de manière très aléatoire selon les établissements scolaires.

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