Suite à ces commentaires appelant au boycott de l’association, La Rodia, après un échange avec l’équipe du Cercle, a choisi ”d’un commun accord”, de continuer de porter l’évènement sans elle dans un souci ”d’apaisement afin d’éviter toutes escalade et surtout par respect pour l’artiste”, indique Le Cercle. Quelques jours plus tard, Voix bisontines, une page créée sur Instagram par Chevalier Mercutio, artiste queer à Besançon, publie une lettre ouverte dans laquelle des agissements de la part de l’équipe encadrante du Cercle sont dénoncés, appuyés d’une vingtaine de témoignages d’anciens bénévoles et artistes.
”Depuis plusieurs années, un malaise persistant entoure la gouvernance et le fonctionnement de l’association. Ce malaise, bien que largement partagé, est (trop) longtemps resté tu, relégué au rang de sujet sensible que beaucoup hésitaient à formuler publiquement”, écrit Voix bisontines dans sa lettre ouverte. Et d’ajouter que cette mobilisation n’est ”ni un emballement soudain ni une réaction impulsive, mais l’aboutissement d’un long processus de silences accumulés".
Des comportements jugés contraires aux valeurs affichées
Voix bisontines affirme que les faits rapportés entrent en contradiction avec les principes revendiqués par l’association. Le texte cite explicitement ”les valeurs fondamentales que l’association affirme défendre : respect, bienveillance, inclusion, éthique, etc.”.
Les signataires dénoncent une répétition de comportements problématiques qui auraient conduit à leur banalisation, alors même qu’ils seraient ”contraires aux valeurs affichées”. Ils évoquent notamment ”mépris, humiliations, manipulations, gaslighting*, discriminations en tout genre et parfois même des menaces”. Selon la lettre, ces faits auraient été ”signalés par les victimes ou témoins”, mais ”minimalisés ou banalisés par les membres de l’association”.
Des inquiétudes concernant les bénévoles les plus vulnérables
Un volet important de la lettre concerne l’accueil des bénévoles, en particulier des personnes jeunes et nouvellement arrivées à Besançon. Voix bisontines fait état d’”inquiétudes […] concernant l’accueil de nouveaux bénévoles, en particulier de jeunes personnes queer récemment arrivées sur Besançon, souvent en situation de vulnérabilité, de recherche de repères ou d’opportunités”.
La lettre ouverte évoque ”une soif d’innocence fraîche dans le but d’instrumentaliser la cause queer à des fins personnelles”. Plusieurs témoignages décriraient un engagement bénévole perçu non plus comme ”un espace d’émancipation et de soutien”, mais comme un moyen de ”servir des intérêts personnels au détriment du cadre associatif et de sa mission collective”.
Ce climat aurait entraîné ”un turn-over élevé de bénévoles”, interprété comme le signe d’”un épuisement et d’un malaise persistants”.
Une volonté affichée d’éviter toute violence envers Le Cercle et ses membres
Voix bisontines insiste sur le cadre de sa mobilisation. Le collectif affirme se ”désolidariser de toute action contraire au respect et à la bienveillance” et précise qu’”aucune violence ou initiative individuelle nuisible n’est tolérable”. Le boycott est présenté comme visant ”la médiation, pas la reproduction de violences”.
Des problème de mégenrage**
Parmi les témoignages anonymes publiés en annexe de la lettre ouverte de Voix bisontines, ce qui revient souvent, c’est la question du genre des différents protagonistes gravitant dans et autour de l’association. ”Mégenrage à répétitions”, peut-on lire dans l’un des témoignages. Une autre personne, ancien.ne bénévole assure avoir vécu ”de la transphobie de la part de plusieurs membres malgré mes reprises constantes, mes pronoms n’ont jamais été respectés par trois membres de l’association (…) Je me souviens d’une fois où on m’a ri au nez pour avoir utilisé le neutre à l’oral pour parler de quelqu’un… Lorsque j’étais bénévole, il y avait deux personnes qui utilisaient différents pronoms, il, elle et iel, on m’a répondu que c’était trop complique (…).”
Des dysfonctionnements financiers et administratifs
Dans les témoignages, on peut également lire qu’il y avait ”magouilles”. Des artistes expliquent qu’ils devaient fournir des tickets de caisse (justificatifs de frais) pour être rémunéré.e.s. En effet, une association loi 1901 peut rembourser des frais à des artistes, mais elle ne peut pas les rémunérer via des notes de frais.
Par ailleurs, un.e bénévole pendant plusieurs années affirme qu’”il n’y a jamais eu d’élection du conseil d’administration ni de vote du budget”. Cela n’est pas obligatoire pour une association de loi 1901, sauf si l'association reçoit des subventions publiques, si elle est reconnue d’utilité publique, agréé par l’Etat, emploie des salariés ou a une activité économique significative. Dans ses statuts, on constate que Le Cercle emploie ”un à deux salariés” selon des données de 2022.
Aucune plainte ni main courante n’a été déposée contre l’association ou ses membres à ce jour.
Les explications de l'équipe du Cercle
En réponses à ces attaques écrites, Le Cercle a publié une réponse sur les réseaux sociaux. Selon l’association, ”sous couvert de dénoncer des faits graves, les codes militants sont aujourd’hui utilisés pour disqualifier, écraser et détruire, sans dialogue, sans nuance et sans cadre protecteur, les bénévoles de l’association ainsi que son directeur artistique.”
”Nous ne prétendons pas être parfait.e.s”
Le Cercle reconnaît ”des erreurs de gestion”, elle rappelle être portée ”majoritairement par des bénévoles” et admet que ”certaines décisions ont pu être mal préparées, mal expliquées ou insuffisamment accompagnées, générant incompréhensions ou tensions. Nous en prenons la responsabilité.” Et d’ajouter : ”Si des maladresses ou des manques ont existé dans notre organisation ou notre communication, nous le regrettons et nous nous en excusons sincèrement.”
Mégenrage et transphobie
En réponse aux accusations de transphobie, l’association assure que ”des situations de mégenrage non intentionnel ont pu avoir lieu. Elles ne relèvent ni de la moquerie ni du mépris, mais de manques de formation. Un travail interne a été engagé afin que ces situations ne se reproduisent plus.”
Sur les accusations de détournements de fonds
Pour répondre aux accusations de détournements de fonds, Le Cercle rappelle qu’elle ne reçoit aucune subvention publique depuis sa création ”par choix” et explique son fonctionnement reposant ”sur les recettes issues du public, des évènements organisés et des adhésions.” Elle précise que les ressources de l’association sont affectées ”à des budgets notamment l’accueil et le fonctionnements des bénévoles, le développement du booking des artistes, l’investissement en matériel informatique et charges du local, le développement de la communication et la pérennité des activités de l’association.”
Enfin, Le Cercle écrit : ”Rien ne justifie l'acharnement que nous subissons aujourd'hui et depuis dimanche. Rien ne justifie que des bénévoles soient exposé.e.s, fragilisé.e.s, épuisé.e.s moralement. Rien ne justifie qu'une structure associative, construite patiemment depuis des années soit livrée au lynchage public et sans nuance. Derrière cette association et derrière les écrans, il y a des bénévoles, une équipe, des corps et des esprits fatigués - surtout en fin d'année, des affects et sensibilités diverses.”
*Gaslighting : forme d’abus mental lorsqu’une personne en maltraite une autre et fait en sorte de remettre en question son propre jugement. Exemple : ”N’en fais pas un drame, c’était juste une blague” ou encore ”Pourquoi est-ce que tu es toujours sur la défensive ?”.
** Mégenrage : utiliser un pronom ou des accords qui ne sont pas ceux utilisés et souhaités par la personne à qui on s’adresse.
