"Les docteurs Sébastien Pili-Floury et Anne-Sophie Balon ont fait figure de lanceurs d’alerte dans cette affaire", a rappelé devant la cour l’ancien commandant de police Fabrice Charligny. Son service avait été saisi dès le début de l’enquête, ouverte à la suite de l’arrêt cardiaque inexpliqué de Sandra Simard, 36 ans, le 11 janvier 2017. La patiente avait été transférée en urgence au CHU de Besançon pour être réanimée.
Anne-Sophie Balon, l’anesthésiste qui suivait Mme Simard à la clinique, se rend alors au CHU "avec une furieuse envie de comprendre", selon les mots du chef du service de réanimation, le docteur Sébastien Pili-Floury. Elle lui présente l’électrocardiogramme de la patiente. "Quand j’ai vu l’électro, ça a été comme une évidence pour moi : c’était un tracé typique d’une hyperkaliémie massive", témoigne-t-il, évoquant un excès brutal de potassium.
Alerté depuis plusieurs années par des arrêts cardiaques suspects de patients de la clinique Saint-Vincent, le médecin conseille à sa collègue de récupérer les produits administrés à Mme Simard et de "doser le potassium". Les analyses révèlent une quantité cent fois supérieure à la normale. "Très clairement, on était dans un contexte malveillant", affirme le docteur Pili-Floury.
Ce constat fait l’effet d’un électrochoc. "C’était énorme, miraculeux même que cette patiente ait survécu", souligne Philippe Panouillot, pharmacien inspecteur à l’Agence régionale de santé (ARS). La direction de la clinique et l’ARS saisissent aussitôt le parquet, marquant le début de l’affaire Péchier.
Un "massacre" à enrayer
Au fil de l’enquête, Sébastien Pili-Floury signale plusieurs cas similaires de patients transférés de la clinique Saint-Vincent au CHU. Jusque-là, "plusieurs enquêtes" sur des arrêts cardiaques suspects n’avaient rien donné. "C’est vraiment ce cas de 2017 qui a permis de tirer les fils" menant aux 30 empoisonnements reprochés à l’anesthésiste, rappelle la présidente de la cour, Delphine Thibierge.
Au départ, "le docteur Péchier était insoupçonnable, c’était le meilleur anesthésiste de la clinique Saint-Vincent. Dans le logiciel des médecins, c’était impensable", note le commandant Charligny.
Pourtant, selon l’avocate générale Christine de Curraize, l’affaire a obligé les enquêteurs à briser "le tabou social de l’assassinat médical". Philippe Panouillot se souvient : "Après l’arrêt cardiaque de Mme Simard, l’impensable commence à se faire jour. On prend peur, et on se dit : il y a peut-être quelqu’un qui tue des gens depuis des années à Besançon et on ne l’a pas vu. Il faut arrêter l’hécatombe, il faut arrêter le massacre."
L’ARS est rapidement "convaincue de la culpabilité de Frédéric Péchier" et redoute, comme les enquêteurs, de nouveaux empoisonnements.
Le médecin devenu accusé
Arrêté en mars 2017, Frédéric Péchier, 53 ans, est soupçonné d’avoir injecté du potassium dans des poches de perfusion afin de provoquer des arrêts cardiaques. Les enquêteurs estiment qu’il cherchait à discréditer certains collègues avec lesquels il était en conflit, tout en mettant en avant ses talents de réanimateur.
L’avocat de l’accusé, Me Randall Schwerdorffer, admet que l’empoisonnement de Sandra Simard "est forcément un crime de soignant". Mais pour lui, son client est "un coupable idéal" choisi dans l’urgence : "Si on n’arrêtait pas Frédéric Péchier, on fermait la clinique", plaide-t-il. Et de s’interroger : "Quelqu’un qui est un orfèvre de la mort, de l’anesthésie, a-t-il besoin de mettre 100 fois la dose de potassium pour tuer ?"
Son confrère, Me Lee Takhedmit, critique également "l’absence de mobile déterminé".
Père de trois enfants, Frédéric Péchier a toujours clamé son innocence. Il comparaît libre, mais encourt la réclusion criminelle à perpétuité. Le verdict est attendu le 19 décembre.
(Avec AFP)