"Cette enquête a débuté par une saisine du procureur de la République", a rappelé Olivier Verguet. Dès février 2017, une liste de 43 arrêts cardiaques a été établie. "Au fur et à mesure des auditions, il est apparu possible de retrouver un mode opératoire identique", explique l’enquêteur.
Un an plus tard, la liste s’était allongée à 68 noms, parmi lesquels les cas les plus suspects ont été ciblés. Mais cette très longue listes s’est réduite lors de la progression de l’enquête pour s'arrêter à 30 empoisonnements.
Des séquestres médicaux aux résultats "surprenants"
Les enquêteurs se sont appuyés sur des séquestres de médicaments saisis lors d’arrêts cardiaques. Des séquestres sont des "Ces séquestres n’avaient pas de visée judiciaire mais purement médicale", précise Verguet. Leur analyse a livré "des résultats surprenants" tels que la présence de lidocaïne dans certains contenants et la détection de potassium "100 fois supérieur à la dose normale" dans une poche. "Ce potassium n’avait rien à faire là-dedans", a souligné Verguet, évoquant un mode opératoire récurrent.
Des corps exhumés et des confirmations
Quatre exhumations ont été décidées (patients Gauget, Beaugain, Nommet et Benoit). Les analyses ont révélé la présence de lidocaïne chez deux d’entre eux. "Ces investigations ont permis de dire qu’il y a bien eu des empoisonnements aux anesthésiques locaux", affirme le directeur d’enquête.
Un "mode opératoire insidieux"
Les arrêts cardiaques suspects impliquaient parfois du potassium ou de l’adrénaline. "À Saint-Vincent, certains patients étaient diagnostiqués tako tsubo* (…) Il y avait tellement de cas qu’une conférence de cardiologues s’était réunie", a rappelé le directeur d’enquête. Selon lui, le procédé était "insidieux" : "l’auteur, quand il agit, se sent en toute impunité."
La présence récurrente de Frédéric Péchier au cours de l’enquête
L’enquête a relevé la présence régulière du médecin anesthésiste lors des réanimations."Sur des réanimations, il arrivait quelques minutes après l’appel et même parfois avant d’être appelé", répète Olivier Verguet.
Un autre élément a frappé les enquêteurs : "À chaque fois qu’il était de garde, pas moins de sept personnes sont décédées", a-t-il affirmé et d'ajouter : "au cours de l'enquête, on ne le cherchait pas, son nom revenait à chaque fois à nous, encore, encore encore..."
Conflits professionnels et contexte personnel
L’instruction a également mis en lumière des tensions avec ses confrères, des enjeux financiers et des rivalités internes. "On a pu faire une chronologie des évènements et des différends", a détaillé le commissaire, citant plusieurs anesthésistes.
Il a aussi évoqué la fragilité psychologique de l’accusé, mentionnant une tentative de suicide en 2014 et un suivi psychologique.
En conclusion, Olivier Verguet déclare notamment que "cette affaire a pris naissance en janvier 2017 et ces cas ne souffrent d’aucune contestation sur le caractère criminel". Pour lui, "seul le Dr Péchier apparaissait quasi systématiquement" dans les dossiers retenus.
Questions des avocates générales
L’avocate générale Christine Goulard de Curraize a resserré l’étau sur l’accusé au gré de ses questions, des questions de plus en plus frontales auxquelles elle donne elle-même des réponses quand l’enquêteur ne le peut pas.
- "N’importe qui peut polluer une poche ?"
- "Quels sont les choix stratégiques de l’empoisonneur ?"
- "Même si Frédéric Péchier n’était pas présent physiquement à la polyclinique, pouvait polluer les poches ?"
- "Est-ce que le Dr Péchier semblait surpris lors de sa première garde à vue ?"
L’autre avocate générale a enchaîné à son tour et dénoncé une suite d’insultes prononcées par Frédéric Péchier, de son frère et de son épouse à l’encontre de policiers et de magistrats dans des conversations téléphoniques privées, mais sur écoute.
"Pour anecdote parce que c’est révélateur du personnage, les policiers sont « tous les cons », les experts « des vieux cons », les magistrates « des grosses putes, des salopes, des connes », et dans une autre conversation, "ce sont tous des enculés". À l’écoute de cela, l’un des avocats de Frédéric Péchier, Lee Takhedmit s’est levé en demandant obstinément les cotes du dossier où sont notées ces insultes.
"À part l’empoisonneur, qui peut-être au courant ?"
Me Stéphane Giuranna, avocat de parties civiles, a pris la parole et questionne : dans une écoute téléphonique, Frédéric Péchier dit le 14 février 2017 : "De toute manière, là, il faut être clair, l’évènement d’Anne-Sophie Simard, les événements antérieurs, il y a manifestement quelqu’un de néfaste. A part l’empoisonneur, qui peut être au courant du mode opératoire ?" a demandé Giuranna. Ce à quoi Olivier Verguet a répondu : "Le personnel de la clinique parlait déjà d’autres cas antérieurs."
"Combien de fois un soignant l’a vu polluer une poche ?"
Me Schwerdorffer, avocat de Frédéric Péchier, va resserrer l’étau à son tour, mais pas sur son client, sur l’enquête en insistant notamment sur la faisabilité matérielle des empoisonnements : "Question simple : comment fait-il pour polluer la poche des patients dans cette clinique ?" Olivier Verguet a répondu : "Péchier se déplaçait continuellement dans les blocs opératoires, il pouvait se déplacer sans difficulté."
"Combien de fois un soignant l’a vu polluer une poche ?" Olivier Verguet n’a pas été en mesure de répondre pas tout en essayant… "J’ai la réponse, c’est zéro", a répondu l’avocat.
Et les poches, auxquelles "tout le monde avait accès", étaient choisies de manière "aléatoire, non pas par lui, mais par des infirmières", a souligné Randall Schwerdorffer, "Ça fait beaucoup d'aléas pour arriver de façon déterminée à empoisonner un patient".
La défense a également interrogé le directeur d’enquêter sur des dégradations d’endoscopes pour un préjudice de 50.000€ à la clinique Saint-Vincent dans la nuit du 20 au 21 février 2017. "Dans cette clinique où on empoisonne des gens (…) avant mars 2017, est-ce qu’il s’est passé quelque chose d’anormal en janvier, février ou mars 2017 dans cette clinique ?" a demandé l'avocat, qui pu faire savoir à la cour par la réponse du directeur de l’enquête qu’aucun lien n’avait été recherché entre les arrêts cardiaques et les dégradations visant du matériel précis et coûteux, ce qui aurait potentiellement écarté son client, lui qui était en voyage à La Réunion à ce moment-là.
Après une tension verbale dans la salle entre Me Berna et Me Schwerdorffer, ce dernier a demandé à Thérèse Brunisso, la présidente de la cour, de lever la séance "parce que je ne peux pas travailler". Ce à quoi la présidente a notamment répondu entre autre : "On reprendra demain à 13h30."
En raison d’un manque de personnel, l’audience ne se rouvrira pas mercredi matin.
* Tako tsubo : maladie cardiaque rare caractérisée par l'apparition d'une insuffisance cardiaque aiguë à la suite d'un choc émotionnel ou physique et qui apparait généralement chez des femmes ménopausées.