Procès Péchier : des uppercuts verbaux de Christine de Curraize assénés sur l’ex-anesthésiste

MISE À JOUR À 16H08 • Le ministère public a poursuivi ce vendredi 12 décembre 2025 devant la cour d’assises du Doubs son réquisitoire visant à convaincre le jury de la culpabilité de l’accusé Frédéric Péchier, jugé depuis le 8 septembre 2025. Les avocates générales Christine de Curraize et Thérèse Brunisso se sont relayées pour aborder plusieurs des 30 empoisonnements survenus en 2008 et 2017 pour lesquels l’ancien praticien est jugé. L’anesthésiste sera fixé ce vendredi à l’issue du réquisitoire sur la peine requise à son encontre.

Fréderic Péchier. © Élodie R.

Après être revenu jeudi sur 16 des 30 cas d’empoisonnement retenus dans cette affaire, le ministère public a poursuivi son réquisitoire concernant cette fois les 14 cas restants. Parmi les cas abordés ce vendredi, Christine de Curraize a ouvert son réquisitoire en évoquant les trois derniers cas du docteur Colette Arbez, "l’une des nombreuses victimes collatérales du Docteur Péchier" qui a été "à sept reprises la cible du docteur Péchier" et qui représente à elle seule "un quart des cas de cette affaire". 

L’avocate générale est revenue sommairement sur le déroulé des empoisonnements de Monique croissant (2013), Anne Marie Gaugey (décès en 2013) et Jean Benoit (décès en 2014) afin de démontrer que "la malchance et le hasard n’ont pas leur place ici", que ces événements indésirables graves (EIG) ne sont explicables "que par la malveillance" et qu’ils ont en réalité un but "celui d’éliminer le docteur Arbez". Les patients n’étant alors "qu’un moyen de l’atteindre" puisque Frédéric Péchier "voulait la voir partir, estimant qu’elle n’avait plus sa place au sein de la clinique".

Un patient "qui fait les frais" d'un règlement de compte

Le but de l’accusé étant de "mettre le docteur Arbez à l’écart en ophtalmologie qui sera l’antichambre de la retraite du docteur Arbez". Les cas de Monique Croissant et Anne-Marie Gaugey auront précipité sa chute. La première survivra à une intoxication au potassium après 45 minutes de réanimation et grâce à l’acharnement du Docteur Arbez, la deuxième succombera d’une intoxication à la mépivacaïne, un anesthésique local, "pas utilisé par les chirurgiens" mais bien "dans le cadre d’une anesthésie".

Mais pour Christine de Curraize, il ne s’agit là que d’une "première étape de franchie" pour Frédéric Péchier qui souhaite lui faire "définitivement quitter la clinique"et c’est "Jean Benoît qui va en faire les frais" en "tombant dans les griffes de Frédéric Péchier". "Avec tout ce qu’on sait qu’il va se passer après : permettez-moi de vous le dire. Ça fait froid dans le dos !", a déclaré l’avocate générale. 

Une mise à mort les yeux dans les yeux

L’empoisonnement de Jean Benoît ayant conduit à son décès est "un cas crucifiant pour monsieur Péchier, presque au même titre que monsieur Gandon" a poursuivi Christine de Curraize en détaillant le mode opératoire "machiavélique" d’un Frédéric Péchier "à l’affût" car "présent en salle de réveil". L’état de ce dernier s’aggravera "comme par hasard" en salle de réveil et succombera finalement à un second arrêt cardiaque alors que "Frédéric Péchier est à son chevet" . 

Pour l’avocate générale il s’agit cette fois "d’une mise à mort les yeux dans les yeux" qu’elle met en parallèle de la tentative de suicide de Frédéric Péchier qui intervient quatre jours après l’empoisonnement de monsieur Benoît. "J’y vois un lien avec le mode opératoire" a poursuivi Christine de Curraize, cet empoisonnement réalisé "non pas par le biais d’une poche mais directement à la seringue sur un patient conscient", "psychologiquement c’est quand même autre chose à digérer". Du décès de monsieur Benoît, elle a rappelé que Frédéric Péchier avait déclaré que "ce n’est pas très grave de mourir à cet âge-là", une phrase lourde de sens selon elle "qui êtes-vous donc Fréderic Péchier pour vous ériger en maitre des horloges du temps ?", a-t-elle lancé en direction de l’accusé. 

Un procédé "hautement pervers"

Thérèse Brunisso a ensuite abordé le cas d’Armand Dos Santos (2014), le "17e crime du docteur Péchier" et un "pur copier-coller du cas Simard" comprenant "les mêmes effets mais pas la même issue". Deux empoisonnements qui "au vu des similitudes du mode opératoire ne peuvent être que celui d’un même auteur, celui de Frédéric Péchier". Elle a évoqué le contenu téléphonique de l’accusé qui, après le cas Simard, avait "insisté auprès de ses proches sur l’impossibilité de survie après un tel taux de potassium", il était alors pour lui "impossible que Sandra Simard ait survécu en ayant reçu une telle dose. Pourquoi ? Eh bien parce que trois ans plus tôt, Armand Dos Santos est mort, lui". 

Les avocates générales ont tour à tour abordé le reste des 30 cas d’empoisonnements retenus à l’encontre de Frédéric Péchier, en tentant de démontrer aux jurés que l’accusé "n’empoisonne pas pour réanimer mais empoisonne pour tuer". Un procédé "puissant et hautement pervers" qui a mené Thérèse Brunisso et Christine de Curraize à requérir, pour chacun des cas abordés ce vendredi, une condamnation de culpabilité à l’adresse de Fréderic Péchier.

La suspension d'audience du midi a eu lieu juste après que Thérèse Brunisso, émue aux larmes, ait évoqué "le 12e mort et la 30e victime de cette liste d'horreur".

Pendant tout ce temps, l’accusé est resté ce même spectateur impassible jambe croisé, main appuyée sur le menton à écouter le réquisitoire implacable des deux représentantes du ministère public.

Reprise à 14h30

Une démonstration d’éloquence : des uppercuts verbaux de Christine de Curraize

Pas de place à la digestion après la pause méridienne, dès la reprise d’audience, Christine de Curraize a repris le réquisitoire à toute vitesse en s’adressant directement aux jurés qui pourraient logiquement se sentir un peu dépasser par ce dossier tentaculaire : ”On ne vous demande pas de juger des situations médicales, mais des crimes, pas un médecin mais un criminel”. Leur rappelant qu’ils doivent juger selon leur intime conviction, elle a exhorté les jurés à ”ne pas vous laissez manipuler par Frédéric Péchier”. 

L’avocate générale a ainsi demandé aux jurés de ne pas être dupes. En prévoyant que la défense tentera dès lundi ”d’instiguer le doute” dans le raisonnement des jurés, elle réplique que ”c’est normal” que tout ne soit pas limpide dans un dossier aussi ”titanesque” mais salue le travail d’investigation mené ”de qualité et qui a tant couté sur le plan professionnel et personnelle” des enquêteurs.

”On ne peut pas vous duper pendant des semaines parce que la vérité est univoque et ni les mensonges ni les changements de défense de FP ne peuvent duper personne” - Christine de Curraize.

Après 30 minutes fleuves de réquisitoire de Christine de Curraize, premier signe de fébrilité de l’accusé qui est contraint de prendre un cachet effervescent pour faire face aux flots d’accusations qui prennent la forme de coups de poing envers lui.  

"C’est tellement plus facile quand on sait, quand on triche”

”On ne provoque pas des arrêts cardiaques 30 fois si on ne cherche pas la mort”, Frédérique Péchier lui même la reconnu durant le procès,”oui celui qui provoque un arrêt cardiaque auprès d’un patient recherche la mort”, rappelle-t-elle. 

Si elle admet qu’il lui a fallu ”9 ans pour comprendre la technicité de ce dossier et le fonctionnement de Frédéric Péchier” elle a ce vendredi déclaré que celui-ci était désormais ”limpide pour moi” et l’a expliqué en deux hypothèse. 

La première, c’est que Frédéric Péchier n’a pas pour but de sauver des patients, il empoisonne pour ”assister à la débâcle de son confrère piégé et jouir ainsi devant son impuissance, et de sa toute puissance face à lui”. Il est ”facile de faire les bons diagnostiques puisqu’il est lui-même maître des règles”, poursuit-elle, ”il pouvait entrer en jeu, se mettre en scène, exister et devenir le médecin que tout le monde adulait. C’est tellement plus facile quand on sait, quand on triche”. 

La deuxième, s’il est présent pour la réanimation c’est dans le but de ”masquer son crime”. Pour Christine de Curraize, ”il ne faut pas regarder l’accusé en qualité de médecin mais avant tout en criminel”. Arguant que ”le gluconate a le même effet qu’un pansement sur une artère blessée”, elle estime qu’il n’est pas commandé par la volonté de sauver mais que l’utilisation de l’antidote ”n’a qu’un but : celui de masquer ses crimes” en diluant le poison et en rendant les résultats in-interprétables. 

"Vous vous empêtrez dans vos mensonges”

L’avocate générale n’a également pas été tendre vis-à-vis du mode de défense de l’accusé qui ”ne se défend qu’en accusant les autres”. Resté ”figé dans sa défense de 2017, il n’a pas su évoluer face aux avancées de l’enquête” pour De Curraize. Au contraire, il ”n’évolue pas comme le ferait un innocent, il le fait à l’audience car ne peut pas déraisonnablement soutenir le contraire et ça lui coûte, et il s’empêtre”. Il traite ”les experts d’incapables mais s’appuie sur eux quand ça l’arrange”. Regardant l’accusé droit dans les yeux, elle n’a pas hésité à lui faire face et lui lancer "vous vous empêtrez dans vos mensonges”.

Concernant l’absence d’aveux de la part de l’accusé, une fois de plus l’avocate générale a balayé le doute d’une main de maître : ”nous savions que le caractère effroyable de ses crimes le condamnerait au silence. Il est verrouillé par sa famille. Eux-memes vous l’on dit que s’il était coupable, il le renierait, lui cracherait dessus, le priverait de ses enfants. Sa famille la démontré, son amour n’est pas inconditionnel". 

Christine de Curraize a conclu son réquisitoire sous les applaudissements des nombreuses parties civiles avant qui se sont rapidement faites rappeler à l’ordre par la présidente : ”eh, on n’est pas au spectacle !”.

 

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