9 novembre 1989 : la journée qui a changé la face du monde

Publié le 09/11/2019 - 13:32
Mis à jour le 09/11/2019 - 15:35

Günter Schabowski chausse ses lunettes, hésite, farfouille dans ses notes manuscrites. Il semble chercher à comprendre ce qu’il est en train de lire puis répond: « Pour autant que je sache, cela entre en vigueur immédiatement, sans délai… ». La bombe vient d’être lâchée. Il est environ 19 heures ce 9 novembre 1989.

Membre du bureau politique du comité central du parti communiste d'Allemagne de l'Est, chargé de l’information, ce membre du premier cercle de la direction de la "République démocratique allemande" (RDA) vient l’air de rien d’annoncer face à des dizaines de journalistes stupéfaits l’ouverture du Mur de Berlin.

Il semble le faire comme par inadvertance, au terme d’une conférence de presse et en réponse à des questions sur les conditions de sortie du territoire pour les citoyens. Il n’y aura plus de retour en arrière.

Mais trente ans après le débat fait toujours rage : la chute brutale du Mur de Berlin, en prélude à celle du bloc communiste tout entier, est-elle un accident de l'Histoire? Le fruit d’une méprise d’un hiérarque mal préparé ou un geste calculé de la part d’une dictature est-allemande en bout de course?

Un régime aux abois

Dans les allées du pouvoir à Berlin-Est, à l’intérieur des villas cossues de Wandlitz qu’occupent les apparatchiks de "l'Etat des ouvriers et paysans" au nord de la ville, l’atmosphère est depuis plusieurs semaines irrespirable. Comment sauver la situation?

La population, cadenassée derrière le rideau de fer depuis 1961, vote désormais "avec ses pieds": depuis août 1989, elle gagne l’Allemagne de l’ouest en passant par d’autres pays du bloc de l’Est comme la Hongrie ou la Tchécoslovaquie, qui ferment de plus en plus les yeux.

En parallèle depuis début septembre, des centaines de milliers d’Allemands de l’Est manifestent dans plusieurs villes chaque semaine contre le régime aux cris de "Nous sommes le peuple!" ou "Nous voulons sortir!".

La crise est à son paroxysme. Et il n’est pas question pour la RDA de compter sur une intervention du Grand Frère soviétique.

Avertissement de Gorbatchev

A Moscou, Mikhaïl Gorbatchev n’a que les mots de "perestroïka" et de "glasnost" à la bouche.Le dirigeant soviétique ne vient-il pas début octobre de lancer cette mise en garde prophétique à Erich Honecker, l'homme fort de l'Allemagne de l'Est? "La vie punit ceux qui sont en retard".

Exit Honecker quelques jours plus tard, le 18 octobre. Ce dirigeant qui avait encore quelque mois plus tôt applaudi la Chine pour "l’écrasement du soulèvement contre-révolutionnaire" sur la place Tiananmen, est écarté au profit d’Egon Krenz.

Présenté comme plus modéré, ce dernier entend sauver le pays à la dérive avec quelques réformes, notamment une libéralisation des voyages avec octroi de visa de sortie sans condition préalable.

Une erreur ?

Et c’est ainsi que Günter Schabowski se voit confier le soir du 9 novembre 1989 la mission d’annoncer en direct à la télévision les mesures d’assouplissement décidées le jour même en petit comité. A partir de là, les versions divergent.

Egon Krenz est encore aujourd'hui furieux à l'égard Günter Schabowski, qu’il accuse d’avoir précipité la fin de la RDA en proclamant de son propre chef l’entrée en vigueur "immédiate" de la possibilité de sortie du pays.

"Ce fut la pire nuit de mon existence", a-t-il dit dans une récente interview à la BBC, "je ne voudrais en aucun cas la revivre".

Le "ministre" de l'Information aurait dû à ses yeux s’en tenir à la lecture d’un communiqué annonçant la libéralisation des voyages à compter du lendemain matin. L’idée aurait toujours été d'autoriser des sorties contrôlées avec visa obligatoire et maintien des installations frontalières, et non de faire tomber subitement le Mur. Et au bout du compte le pays et le Rideau de fer.

Alors, erreur de jugement sous la pression? Ou geste calculé? Jusqu’à son décès en 2015 à 86 ans, Günter Schabowski n’a jamais clairement répondu à la question.

"Sauver la RDA"

"Plus personne ne pouvait arrêter le mouvement qui venait d’être lancé avec mon annonce", a-t-il simplement analysé, cherchant à apparaître a posteriori comme un ardent réformateur.

Selon sa version, l'ouverture des frontières a été imposée le 9 novembre 1989 à la hussarde au comité central du parti, dominé par une arrière-garde d'héritiers du stalinisme, par un petit cercle de réformateurs.

"Nous en sommes venus à la conclusion que si nous voulions sauver la RDA il nous fallait laisser partir les gens qui voulaient fuir", a raconté Schabowski au quotidien TAZ en 2009.

Pour autant, l’ancien opposant est-allemand et futur président du Parlement allemand Wolfgang Thierse est persuadé que Günter Schabowski a été dépassé.

"Je ne pense pas qu’il ait su ce qui allait se passer. On se doutait que quelque chose se préparait sur la liberté de voyage car le parti communiste voulait soulever le couvercle pour faire baisser la pression. Mais Schabowski ne se doutait pas qu’il allait complètement s’envoler", a-t-il dit à la radio publique.

Stupéfaction

Le résultat a en tout cas pris de cours le régime et changé la donne internationale après plus de 40 ans de Guerre froide.

Après avoir entendu le message à la radio, la télévision ou par le bouche à oreille, les Allemands de l’Est sont rapidement des milliers tout au long de la soirée et de la nuit à se presser aux postes-frontière.

D’abord prudents, incrédules, ils s’enhardissent, encouragés par les Berlinois de l’Ouest qui leur font déjà la fête de l’autre côté.

Face à la foule qui enfle, les passages sont bientôt ouverts en grand. Le premier à lever les barrières à Berlin est celui de la Bornholmer Strasse.

Parmi les Berlinois de l'Est qui à cet endroit s'engouffrent sans trop y croire vers l'ouest symbole de liberté: une certaine...Angela Merkel.

Elle habite dans le quartier et sort tout juste du sauna. "Nous étions sans voix et heureux", témoigne-t-elle sur ARD. Celle qui est alors chercheuse en chimie à l'Académie des Sciences de RDA ira modestement fêter la soirée en buvant "une canette de bière" chez des amis à l'ouest, avant de rentrer sagement. "L'accueil à Berlin-Ouest a été très très chaleureux", se souvient-elle.

S'ouvrent bientôt les postes-frontière d'Invalidenstrasse et du célèbre Checkpoint Charlie. Dépassés par les événements, pour la plupart non encore informés des décisions du parti, les douaniers renoncent souvent aux formalités prévues. La police recule. "Nous sommes aussi perdus que vous", lance un garde-frontière à une Berlinoise.

"Complètement dingue"

A la chambre des députés allemands, encore installée dans la capitale "provisoire" de Bonn, les élus ont compris dès 20 heures l'ampleur du séisme. Ils interrompent leur séance et se mettent à entonner spontanément l'hymne national. Du jamais-vu. L'ancien chancelier Willy Brandt, père de l'Ostpolitik, le rapprochement avec le bloc de l'Est, a les larmes aux yeux.

A 22H40, le présentateur vedette du journal du soir de la télévision publique ouest-allemande, Hanns-Joachim Friedrichs, décrète en titre: "Berlin-Est ouvre le Mur". La messe est dite.

Le Mur de Berlin ne divise plus rien", écrivent cette nuit-là les journalistes de l’AFP, tous très émus et conscients de voir l’Histoire en marche.

Dans cette nuit de folie, les Berlinois de l’Est comme de l’Ouest escaladent le Mur devant la Porte de Brandebourg, symbole de la division de la ville. Certains sortent les premiers marteaux pour s’attaquer à l’enceinte de béton de 160 km.

Partout les mêmes scènes de liesse qui feront le tour du monde, les retrouvailles est-ouest en larmes d'un peuple séparé depuis la fin de la guerre, les embrassades. Une exclamation revient ce soir-là sur toutes les lèvres: "C'est complètement dingue!".

Et Günter Schabowski? Pour le messager de l'ouverture du Mur, l'Histoire finit mal: une condamnation à trois ans de prison en 1997 pour l'exécution des Allemands de l'Est ayant tenté de passer le Mur de Berlin.

(Source AFP)

Soyez le premier à commenter...

Laisser un commentaire

Société

Les oranges cachaient les stupéfiants… La Douane du Jura transforme une saisie en don à la Croix-Rouge

INSOLITE & SOLIDAIRE • La brigade des Douanes de Lons-le-Saunier a récemment intercepté un poids lourd circulant sur l’autoroute. Lors du contrôle, les agents ont découvert des produits stupéfiants dissimulés dans la cargaison. Pour masquer ces marchandises illicites, le camion transportait 20 palettes d'oranges, transportées d'Espagne vers la Pologne... une cargaison légale qui a été remise à la Croix-Rouge du Jura, a-t-on appris mardi 9 décembre 2025.

Un clic = 1 € de jouets : le CHU de Besançon relance son “Noël magique”

1 vote = 1 euro • Le CHU de Besançon participe, cette année encore, à l’opération "Noël magique à l’hôpital". Chaque internaute a la possibilité de voter gratuitement en ligne et faire gagner un euro au service pédiatrique de Besançon jusqu'au 24 décembre 2025. Depuis plus de 15 ans, cette opération permet aux services pédiatriques de bénéficier de nombreux jouets.

Laïcité : à Besançon un tramway et des projets pour célébrer les 120 ans de la loi de 1905

À l’occasion de la Journée nationale de la laïcité, célébrée le 9 décembre, la Ville de Besançon affirme son engagement en commémorant cette année un anniversaire historique : les 120 ans de la loi du 9 décembre 1905, texte fondateur consacrant la séparation des Églises et de l’État et garantissant la liberté de conscience.

“Énergie moins chère ensemble” : une offre énergétique négociée par l’UFC Que choisir

Jusqu’au 20 décembre 2025, il est possible de bénéficier de l’offre énergétique négociée par l’UFC que Choisir dans le cadre de la campagne "Énergie moins chère ensemble". Zoom sur ce dispositif avec Benjamin Capelli, juriste pour l’UFC Que choisir Doubs - Territoire de Belfort à Besançon.

L’avenir se dessine en Bourgogne-Franche-Comté !

PUBLI-INFO • Grâce  à la Carte Avantages jeunes, la Région Bourgogne-France-Comté propose à tous les jeunes de moins de 30 ans de bénéficier de 3200 avantages. Cette carte offre de nombreuses réductions et gratuités pour la culture, les loisirs et la vie quotidienne.

À Besançon, Chloé M. amène le Slam et libère la parole dans les résidences autonomie

VIDEO • À notre arrivée à la salle d’animations de la résidence des Lilas dans le quartier de Palente à Besançon, une dizaine de résidents étaient déjà installés pour l’atelier "Slam" proposé par Chloé M. depuis le mois de septembre 2025. Une animation engagée dans la continuité des actions du CCAS de Besançon. Nous avons assisté à un atelier…

Dermatose nodulaire à Pouilley-Français : trois bovins étaient infectés depuis trois semaines

A l'issue des opérations de dépeuplement qui se sont déroulées le 2 décembre 2025 dans une ferme à Pouiley-Français, les services de la préfecture du Doubs ont constaté la présence de nodules typiques de DNC sur quatre autres bovins. Explications.

Keolis Besançon Mobilités déploie le programme international ”Tournesol” pour les handicaps invisibles. C’est quoi ?

Keolis Besançon Mobilités, exploitant du réseau Ginko pour Grand Besançon Métropole, a annoncé le 3 décembre 2025 son adhésion au programme international Sunflower – Hidden Disabilities, connu en France sous le nom ”Le Tournesol”. Ce dispositif permet aux personnes vivant avec un handicap invisible de signaler discrètement un besoin d’assistance grâce à un symbole facilement reconnaissable. Une première en France.

Dermatose : “Stop au massacre !”, clament des éleveurs mobilisés contre l’abattage massif

Des centaines d'agriculteurs se sont mobilisés mercredi 3 décembre 2025 dans plusieurs départements contre l'abattage massif des troupeaux de bovins en cas de dermatose nodulaire contagieuse (DNC), réclamant la fin du "massacre" au lendemain d'une euthanasie très contestée dans une ferme du Doubs.

Offre d'emploi

Devenez membre de macommune.info

Publiez gratuitement vos actualités et événements

Offre d'emploi

Sondage

 11.02
couvert
le 10/12 à 18h00
Vent
1.52 m/s
Pression
1024 hPa
Humidité
89 %