"Morrissey, l'insoumis" : le nouveau livre de Nicolas Sauvage

Publié le 16/03/2022 - 16:29
Mis à jour le 17/03/2022 - 10:31

INTERVIEW •

Après avoir publié deux ouvrages sur Paul Weller et Damon Albarn en 2019 et 2020, Nicolas Sauvage, auteur bisontin et conférencier à La Rodia à Besançon a publié un troisième ouvrage fin février 2022 sur un autre artiste britannique, Morrissey, connu du grand public pour avoir été le leader et chanteur de The Smiths dans les années 80. Interview.

"Morrissey L'insoumis" écrit par Nicolas Sauvage. Editions Camion Blanc. © Alexane Alfaro

Après un livre sur Paul Weller et Damon Albarn, pourquoi écrire sur Morrissey ?

Nicolas Sauvage : "Paul Weller, Damon Albarn et Morrissey sont trois artistes que j’ai découverts il y a plus de trente ans et dont je continue à suivre le parcours avec beaucoup d’intérêt. J’ai en quelque sorte grandi avec eux. Morrissey lui-même est devenu au fil du temps une figure apte à illustrer l’évolution d’une certaine forme de pop britannique. Il me semble que sa trajectoire en dit beaucoup sur l’histoire de ce que nous appelons communément l’indie-pop. Par ailleurs, sa carrière est scindée en trois gros blocs qui représentent les années Smiths, ses années en solo dans les années 90, puis son retour inattendu après sept ans de silence discographique. Il n’existe aucun livre en français qui couvre l’ensemble de son œuvre. Il m’a semblé que c’était le bon moment pour faire ce travail."

Ce sont trois artistes britanniques : ce n'est sûrement pas un hasard qu'ils soient tous les trois du même pays...

NS : "Ce n’est évidemment pas un hasard, car une grande partie de mes premiers émois musicaux est liée à la pop britannique. Cela étant, il est assez amusant d’observer de près la véritable nature et les profondes inspirations de ces trois musiciens qui, pour les plus pressés, représentent en effet des archétypes de la pop anglaise. Damon Albarn est de ce point de vue un cas d’école : près de 30 ans après la fameuse opposition entre Blur et Oasis, certains continuent à ne voir en Damon Albarn que le chanteur d’un groupe pop anglo-anglais. Cette période existe bel et bien, mais, elle ne représente qu’une infime partie de sa carrière. Blur comme porte-drapeau de la Britpop se résume aux années qui s’étendent de 1992 (le fameux « Popscene »)  à 1995. La suite n’a qu’un très lointain rapport avec la Britpop. Avec Gorillaz, Albarn a révélé un terrain de jeu qui dépasse amplement l’Angleterre et bien sûr, le Damon Albarn globe-trotter a démontré depuis bien longtemps son intérêt pour les musiques africaines entre autres. Ainsi, entre Blur, The Good The Bad & The Queen et son activisme au sein d’Africa Express, on observe un très vaste champ d’inspirations.

On pourrait faire un déroulé de l’œuvre de Paul Weller pour s’apercevoir que, lui aussi, dépasse largement le cadre du rock anglais. La house des derniers Style Council, l’influence manifeste de la soul sur sa musique, de nombreux éléments prouvent qu’une large partie des influences de Weller viennent des États-Unis, de la musique afro-américaine en particulier.

Le cas de Morrissey est également assez complexe. Aucun doute sur les racines irlandaises et l’identité purement britannique de l’ancien Smiths et pourtant… De James Dean aux New York Dolls, de Patti Smith à Truman Capote, de son installation à Los Angeles au répertoire de son récent disque titré California Son, les exemples abondent lorsqu’il s’agit de mettre en lumière l’énorme influence de la culture étasunienne sur Morrissey. Ainsi, ces trois musiciens anglais bénéficient d’une telle longévité et d’une telle somme d’influences et d’inspirations que l’idée d’en rendre compte garantit un travail passionnant pour un auteur. Sur ce point, l’écriture de ces trois livres m’a procuré un immense plaisir."

Morrissey est un musicien quelque peu controversé notamment suite à des propos jugés "racistes et haineux" et parce qu'il est accusé de soutenir l'extrême droite britannique. Est-ce que votre livre évoque ces tendances ? 

NS : "Tout d’abord, mon livre n’est pas précisément une biographie. Il s’agit plus exactement d’une monographie consacrée à Morrissey en tant que musicien. De fait, les éléments strictement biographiques ne sont amenés dans le récit qu’à la condition d’avoir eu un impact direct sur son œuvre ou, à minima, sur le paysage musical de l’époque traitée. Par exemple, si j’évoque la relation intime entre Morrissey et le photographe Jake Walters au mitan des années 90, c’est uniquement en raison dans son incidence manifeste sur la musique du chanteur. Le goût de Morrissey pour la boxe, son changement d’image à cette époque, tout cela fait sens avec la présence de cet homme dans sa vie. Au-delà de cet aspect, la nature exacte des relations entre Walters et Morrissey ne m’intéresse guère. Il en va de même pour les propos que certains ont qualifiés de racistes ou haineux. Je ne passe pas sous silence le personnage controversé, mais je me garde bien d’être sentencieux face à une personnalité aussi complexe que celle de Morrissey.

Je crois avoir largement évoqué cela dans la livre, mais voici mon impression en quelques mots : Morrissey est un provocateur, une grande gueule toujours prête aux joutes verbales. En ce sens, il s’inscrit dans une longue tradition britannique. Des Sex Pistols à Oasis en passant par Lennon, les provocations en tous genres sont presque un sport national en Angleterre. Est-ce que cela excuse tout ? Certainement pas et ce n’est pas la position que j’adopte dans le livre. J’avance plutôt l’idée selon laquelle Morrissey est un pur produit d’une Angleterre aujourd’hui disparue, un nostalgique incurable face à un monde dans lequel il ne se reconnait pas. Il a toujours joué avec le feu, toujours entretenu une relation heurtée avec les médias. Mais, dans une période où la cancel culture est devenue si présente, un personnage comme Morrissey est forcément clivant et parfois, soyons honnête, facile à condamner hâtivement.

Pour autant, je ne suis pas certain que quelqu’un comme Gainsbourg s’en sortirait beaucoup mieux avec les médias aujourd’hui. L’époque a changé, Morrissey non. Il y a effectivement des déclarations troublantes, voire franchement embarrassantes, mais elles sont aussi nombreuses que des justifications d’une grande clarté qui vont dans un sens totalement opposé. Au Guardian, Morrissey faisait par exemple la déclaration suivante : « J’abhorre le racisme et l'oppression ou la cruauté de quelque nature que ce soit et je ne laisserai pas passer cela sans être absolument clair et catégorique sur ma position. Le racisme dépasse le bon sens et je pense qu'il n'a pas sa place dans notre société ». Et pourtant, on a tous vu le badge For Britain qu’il portait lors de son passage au Tonight Show de Jimmy Fallon.

Dans le livre je pose cette question : qui est le véritable Morrissey ? Celui qui affiche son soutien à Anne-Marie Waters ou celui qui, dans un même temps, choisit une immense photo de James Baldwin en guise de décor scénique ? Dans un documentaire consacré au chanteur, Noel Gallagher avance l’idée selon laquelle personne ne connait véritablement Morrissey. Je crois qu’il n’est pas loin de la vérité.

Pour finir sur ce point, il faut également garder à l’esprit que le nationalisme affiché avec fierté par les Anglais et incomparable avec l’état d’esprit que nous avons en France sur ce point. L’utilisation de l’Union Jack en est un exemple frappant. Des vestes portées par Pete Townshend des Who à la robe taillée dans l’Union Jack de Geri Halliwell des Spice Girls, en passant par le manteau de Bowie sur la pochette de Earthling, le drapeau Anglais est devenu un accessoire, un gimmick de la pop. Ce même drapeau manipulé par Morrissey en 92 a fait naître en scandale retentissant, deux ans après Blur et Oasis étaient sur le toit du monde. On imagine difficilement Daho ou Biolay vêtus d’une veste taillée dans le drapeau tricolore. La pop a ceci d’étrange et d’intéressant. Une image peut varier totalement en fonction de la culture et des codes de chaque pays. Lorsqu’un habitant de Bordeaux verra en Morrissey une pop star égocentrique et raciste, un autre vivant à Guadalajara justifiera sa passion en désignant l’artiste comme défenseur des minorités et de la tolérance."

De quoi parlez-vous dans ce livre de 624 pages ? 

NS : "En marge de ma réponse à la question précédente, je reviens sur le fait que ce livre traite avant toute chose de la carrière artistique de Morrissey. Avant que les Smiths voient le jour au printemps 82, l’adolescent qu’était Steven Morrissey s’est passionné très tôt pour la pop. Il a été bercé par l’émergence de la pop des 60’s, puis a eu une première révélation en découvrant le glam de T.Rex et Bowie et bien sûr, les New York Dolls. Avide de découvertes et issu d’une famille d’émigrés modestes, il a également vécu en direct l’émergence du punk. S’il est souvent réduit à l’image d’un type précieux qui se dandine sur les plateaux de télévision, un bouquet de glaïeuls dans la poche arrière du pantalon, il fut en réalité au centre de la révolution punk. Il a assisté au concert des Pistols à Manchester, joué avec Billy Duffy, le futur The Cult, il est devenu ami avec Linder Sterling, a œuvré pour le fan club des Cramps. En bref, il a vécu intensément bien avant que le public ne découvre ce personnage fascinant et totalement hors de son époque. Et bien sûr, les Smiths ont laissé une trace indélébile dans la pop en un temps record, devenant pour certains les Beatles d’une génération.

Avec le temps, le personnage extraverti de Morrissey s’est révélé. Il a sans le moindre doute profondément changé l’image de la pop star intouchable. De son végétarisme intransigeant à son rejet des clichés inhérents au rock, il a effectué un travail de fond remarquable. C’est aussi cela que j’ai tenté de raconter dans le livre. L’histoire d’un outsider devenu une icône pop, la trajectoire d’un type bigger than life qui fascine par ses contrastes, ses fulgurances et l’intensité de son engagement. Morrissey laisse rarement indifférent et j’espère que le livre parvient à en expliquer les raisons. Je suppose qu’en cette période préélectorale, beaucoup vont aller dans une mauvaise direction en voyant le titre du livre. Il s’agit en fait d’une référence directe au film d’Alain Cavalier dans lequel Delon tient le rôle principal.

Une photographie extraite du film a bien sûr été utilisée pour la pochette du classique des Smiths The Queen Is Dead, mais, au-delà, il y a une sorte de parallèle qui me semble intéressant entre le chanteur anglais et le comédien français. Comme ce dernier, Morrissey vieillit avec une grâce intermittente tandis que son œuvre semble jouir d’une jeunesse éternelle. Comme le Delon des grandes années, Morrissey semble coincé dans un monde oublié, peuplé de fantômes. Pourtant, on observe toujours ce grand écart spectaculaire entre une misanthropie glaçante et une philanthropie bouleversante. Je trouve que beaucoup de chansons de Morrissey portent en elles ces sentiments exacerbés, c’est quelque chose qui me touche profondément."

Est-il destiné au grand public ou plutôt à un public averti ?

NS : "Je pense que le livre peut se lire à différents niveaux d’informations. De par sa longueur, il tend vers l’exhaustivité, mais je me suis efforcé de contextualiser au mieux. Il y a donc la volonté d’élargir le champ au-delà du seul parcours de Morrissey."

Avez-vous déjà rencontré Morrissey ? 

NS : "Je l’ai vu plusieurs fois en concert, mais, non, je n’ai jamais échangé avec lui. J’ai en revanche fait un très long travail préparatoire à l’écriture en (re)lisant absolument tout ce que j’ai pu trouver comme archives sur le sujet. Ce fut peut-être la partie la plus longue et la plus immersive de mon travail. Comme pour Paul Weller et Damon Albarn dont je collectionne les disques depuis de nombreuses années, j’ai tous les enregistrements effectués par Morrissey. J’ai donc commencé par réécouter l’intégralité de sa discographie puis, à prendre des notes à partir des nombreux documents que j’ai consultés."

Prévoyez-vous un quatrième livre ? Et sur qui ?

NS : "J’ai commencé à écrire sur un soulman qui s’appelle Curtis Mayfield. Ici encore, il s’agit d’un musicien que j’adore depuis 30 ans et sur lequel il n’existe rien en France. Ce sera aussi l’occasion pour moi de m’exprimer sur l’histoire de la musique noire américaine, une autre de mes grandes passions." 

Où trouver votre livre ?

NS : "Le livre est disponible à la librairie Forum, mais également sur les sites marchands habituels ou directement sur le site de l’éditeur à l’adresse suivante : www.camionblanc.com "

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