Piétonnisation du quartier Battant : commerçants et habitants très divisés

Publié le 19/07/2023 - 18:01
Mis à jour le 19/07/2023 - 18:12

Début juillet 2023, commerçants et habitants du quartier Battant à Besançon ont reçu une lettre de la part du pôle Transition écologique, aménagement du territoire et espace public de Grand Besançon Métropole et de la Ville de Besançon. Objectif : informer les acteurs du secteur de la future piétonnisation du quartier via des bornes automatiques et les inviter à participer à des réunions.

Dans son courrier du 3 juillet, le pôle Transition écologique, aménagement du territoire et espace public de Grand Besançon Métropole explique en introduction que ”depuis de nombreuses années, les résidents et usagers du quartier font remonter un sentiment d’insécurité pour leurs déplacements à pied dans le quartier Battant, en raison d’une circulation automobile trop intense et de trottoirs trop étroits. En y ajoutant les pollutions atmosphériques et sonores, les déplacements motorisés apportent de nombreuses nuisances dans le quartier.”

Précisant que les piétons constituent les deux tiers des clients des petits et moyens commerces de Besançon, Grand Besançon Métropole annonce vouloir ”redonner une plus grande place aux piétons” ce qui ”valorise les commerces de proximité, recréé du lien social et facilite les interactions dans un quartier encore plus vivant.”

Suite à ces affirmations, la Ville de Besançon et la communauté d’agglomérations souhaitent limiter l’accès en voiture du quartier Battant aux seuls riverains ”à l’image du quartier de la Boucle, réglementée il y a 20 ans.” Dans ce cadre, les commerçant(e)s du secteur ont été invités à participer à trois ateliers les 10 et 17 juillet en présence d’élus de la Ville et de l’agglomération aux Bains Douches, rue de l’Ecole. Pour ce qui est des habitant(e)s, ils sont conviés à deux réunions en septembre prochain.

Des bornes installées en décembre 2023

Lors des premiers ateliers, les commerçants ont appris qu’en décembre 2023, des bornes automatiques, similaires à celles que l’on voit rue de la République, rue des Granges, rue Gustave Courbet ou encore rue Bersot pourraient être installées en décembre 2023 quai de Strasbourg, quai Veil Picard, rue d’Arènes, place Marulaz ou encore rue de la Madeleine. Seuls les riverains devraient pouvoir les traverser, ainsi que les camions de livraison entre 06h et 11h selon la règlementation actuelle.

Un projet qui divise commerçants et habitants comme nous avons pu l’observer à la rencontre de plusieurs d’entre eux.

Du côté des habitants… c’est oui !

Mardi 18 juillet, nous avons rencontré 10 habitant(e)s pour connaître leur point de vue. La majorité absolue se dit "pour" cette piétonnisation. Voici trois témoignages reflétant nos 10 rencontres.

Émilie, 31 ans, que nous avons croisés avec son fils de 3 ans et son bébé de 4 mois, se dit ”clairement pour” avec un grand sourire. ”J’habite au milieu de la rue de la Madeleine et je n’en peux plus d’entendre tous les soirs des voitures qui roulent à une vitesse pas possible ! On ne peut même pas regarder un film sans devoir mettre le son à fond, la chambre de mon fils donne sur la rue et la notre aussi, on sursaute quasi tous les soirs, et je ne vous parle même pas des week-ends”, nous raconte-t-elle. ”On craint également pour la sécurité de nos enfants, et même la nôtre d’ailleurs ! Les trottoirs sont trop petits ou pas pratiques et j’ai toujours peur quand je sors avec mon fils, qu’il me lâche la main et qu’il arrive malheur.”

Jean-Louis, 54 ans, vit place Marulaz depuis environ 10 ans : ”C’est une excellente nouvelle ! Il était temps ! Je ne sais même pas comment il est possible qu’il n’y ait encore jamais eu d’accident avec ces bagnoles qui roulent à fond !” Toutefois, il émet une réserve : ”Je dis oui pour une question principalement de sécurité, mais j’espère que la police ne va pas placarder des amendes sur les voitures des habitants qui s’arrêteront 5 minutes pour monter leurs courses, parce que ce serait vraiment nul ça !” 

© Alexane Alfaro

Autre témoignage : celui de Romain (le prénom a été changé pour préserver la demande d’anonymat), âgé d’une quarantaine d’années et père de deux enfants, né, vit et travaille dans le quartier Battant. Pour lui, ”c’est une très bonne idée et j’attends ça avec impatience parce que de toute façon dans ce quartier, ce n’est pas facile de circuler en voiture, c’est sinueux, il y a beaucoup de places de parking autour et Battant un quartier qui a une âme et en le piétonnisant, ça va resserrer les liens entre les gens… et puis il faut vivre avec son temps ! On est en 2023 ! Et de toute façon, dans trois mois on en parlera plus !”

De plus, pour lui, ”le mythe de la personne qui vient de la périphérie de Besançon dans le quartier pour faire ses courses, je n’y crois pas une seconde, et on ne va pas me faire croire que les clients des commerces peuvent tous se garer devant leur magasin pour faire leurs courses.” Romain aborde également le problème de la sécurité en citant un exemple très récent : ”j’étais en terrasse place Marulaz avec mes deux enfants qui jouaient au foot près de la fontaine : une seule et même voiture a fait 20 fois le tour du quartier à fond ! Je ne veux plus avoir peur que mes enfants aillent chercher le ballon de l’autre côté de la rue.”

Enfin, il souhaiterait proposer une idée dans le cadre de ce projet de piétonnisation : ”ce serait bien que les habitants, même s’ils n’ont pas de voiture, puissent avoir un bip, un accès aux bornes, pour la simple et bonne raison que beaucoup circulent la plupart du temps en vélo ou à pied, mais aussi en autopartage notamment pour faire les courses, déménager un meuble ou autre.”

Du côté des commerçants : deux pétitions, la division

Du côté des commerçants, nous avons noté une division très nette : les commerçant(e)s que l’on qualifierait de ”classique” tels que les bureaux de tabac, les commerces de bouche et ventes en tout genre, et les bars/cafés. D’ailleurs ces deux camps ont chacun lancé une pétition : l’une pour l’installation de ces bornes, l’autre contre. Le 18 juillet, chacune comptait au moins un millier de signatures.

La première commerçante que nous avons rencontrée est Florence, la gérante de La boîte à rire, située rue de la Madeleine depuis bientôt 37 ans. Pour elle, ”ce n’est pas une bonne chose”. Elle nous explique que ”ça va limiter l’accès aux personnes qui viennent dans les commerces et ça va engendrer une perte de chiffre d’affaires : si on perd 20 à 30% de chiffre, toutes les boutiques seront en déséquilibre dans le quartier, ça me ferait mal au coeur", en précisant que son principal chiffre d'affaire vient de projets réalisés en extérieur et non en vente directe au magasin.

Elle reproche à la Ville de Besançon et à Grand Besançon Métropole d’”imposer” leur projet de piétonnisation sans prendre en compte les solutions proposées par des commerçants telles que l’installation de caméra de vidéosurveillance, de feux tricolores ou de ralentisseurs. ”Ils ont pris leur décision, ils sont bornés, ils n’en ont rien à faire”, selon la commerçante. Et d’ajouter : ”mes clients m’ont dit qu’ils ne viendraient plus et en plus, ce problème d’accès va également impacter des commerces de l’autre côté du pont Battant comme Baud par exemple puisque plus personne ne pourra stationner dans le quartier.”

Par ailleurs, sur la question de l’écologie, Florence ne croit pas que ce projet change quoi que ce soit : ”les voitures ce n’est pas écologique, les vélos ce n’est pas écologique, les trottinettes ce n’est pas écologique… Et il faudrait peut-être déjà agir sur la pollution à Planoise et dans les zones industrielles, mais on n’a pas la même façon de penser, ils (les élus) n’ont aucune idée de ce que c’est d’avoir un commerce, on y met toute sa vie et on ne bosse pas 35 heures, mais plutôt 50 à 60 heures par semaine !”

© Alexane Alfaro

Éric, gérant de la Bouquinerie La.Ta.Lu, rue de la Madeleine depuis 35 ans, se dit ”ni pour ni contre”. Il indique cependant que ”c’est dans le sens de la vie actuelle, mais concernant les répercussions pour les commerçants, je les imagine plus négatives, je n’ai par exemple des clients qui viennent avec des voitures remplies de livres, donc je me doute bien que ça va être compliqué, mais il y aussi des riverains : depuis un moment on a plein de débiles qui roulent comme des malades en bagnole de 300 ch à des vitesses ahurissantes, mais il y a aussi d’autres manières de traiter le problème comme mettre des radars, mettre des amendes, faire plus de contrôles, il y a quand même des choses à faire…”

Le bouquiniste souligne aussi le manque de concertation de la part des élus, "on sait que le projet sera fait de toute façon". En conclusion, pour Éric, la piétonnisation était ”prévisible” en précisant que ”c’est curieux qu’il n’y ait jamais eu d’accident , mais de toute façon, pour la vie des gens, ce sera mieux. Si je ne vois que mon côté commerçant, j’aboie et je gueule, mais il faut regarder l’ensemble des gens.”

"80 voitures rue de Vignier en une demi-heure" - Meghane - PDZ

Autre univers : les Passagers du zinc, le café-concert de la rue de Vignier repris en 2015 par Meghane. Sur place, on se rend compte que dès qu’on sort du bar, on se retrouve presque sur la chaussée, le trottoir étant particulièrement étroit et tordu. Lors de notre interview autour de 17h30 mardi 18 juillet avec la gérante, c’est un ballet incessant de voitures qui circulent, qui tournent en rond et qui klaxonnent. ”Une fois, un artiste en concert ici s’était amusé à compter le nombre de voitures qui circulaient vers 18h00. Résultat : 80 voitures en une demi-heure”, précise Meghane, ”et c’est tous les soirs de 17h00 à 20h00.”

De l’autre côté de la rue, sa petite terrasse. Assis là, les pare-chocs des véhicules qui passent sont à quelques dizaines de centimètres des clients, sans parler des rétroviseurs. Seule une barrière sépare les deux espaces. Il n’est pas difficile de deviner ici que le principal problème dans cette rue, c’est la circulation et la sécurité. Alors pour Meghane, la piétonnisation du quartier est une évidence. ”Pour la sécurité, les voitures passent toujours trop vite même s’il y a un dos d'âne depuis 2019, ils freinent et ils re-accélèrent ensuite et je précise que ce ne sont pas que des jeunes qui font ça, c’est papa et maman, monsieur et madame tout le monde !” La gérante nous confie un exemple récent : ”les pompiers étaient en intervention au bout de la rue côté Marulaz, une file de voitures klaxonnait, je suis allée voir un conducteur pour qu’il arrête et il m’a répondu  - Tais-toi salope, reste dans ton bar - donc voilà…”. Elle évoque également l’aspect écologique, mais aussi le côté ”village” du quartier. ”Quand il y a le vide-grenier, c’est génial, parce qu’il faut noter que c’est un quartier familial, les enfants jouent, ce coté village est à développer, ça le rendra plus attractif”, selon elle.

Pour rester dans la musique, Paul, le gérant du magasin de pianos Bietry, rue d’Arènes, n’était pas au courant du projet de quartier quand nous l’avons rencontré. Après lui avoir donné quelques précisions sur le projet, il nous a répondu que ”ça va faire mal aux commerçants, nos clients viennent de partout en France, mais viennent spontanément, tout le monde ne va pas planifier sa venue pour traverser des barrières, ça va faire comme avec le Tram’, c’est la maire qui décide, on fera les comptes après la guerre.”

”Est-ce qu’elle veut que le centre-ville meure ?” - Hakin - Disque bleu

Nous avons également rencontré l’un des trois buralistes du coin, Hakin, gérant du Disque bleu situé quai de Strasbourg. ”Est-ce qu’elle veut que le centre-ville meure ?” nous demande-t-il en faisant allusion à la maire de Besançon. ”Il y a moins de monde, il y a une crise économique, on sort d’une crise sanitaire, on ne peut pas tout faire en même temps !”, s’insurge-t-il. ”Il faut s’attaquer à l’insécurité, mais celui qui roule vite, roulera toujours vite.”

De plus, pour le buraliste, installé depuis 17 ans, ”ça veut dire perte de client, perte d’affluence, j’ai des clients qui viennent de super loin, même de Saint-Vit !” Selon lui, d’autres problèmes sont à traiter avant de piétonniser le quartier Battant : ”ils ne font rien pour les trottinettes qui roulent à fond sur les trottoirs alors que soi-disant il y a une piste cyclable à côté, je n’arrête pas de dire à mes clients de faire attention en sortant d’ici, c’est pas normal… Ça, c’est des nuisances.” Concernant l’aspect écologique du projet : ”je veux bien qu’on parle d’écologie, mais le souci c’est qu’il y a un réseau de voitures, on est à Besançon, ce n’est pas une ville nouvelle.”

© Alexane Alfaro

De passage place Marulaz, nous avons rencontré deux cafetiers : Philou, patron du Bonnie Café, commerçant au centre-ville depuis 30 ans, et Patrice, gérant du Marulaz depuis 9 ans. Tous les deux sont favorables à la pose de bornes dans leur quartier.

Pour Patrice, qui a assisté aux réunions les 10 et 17 juillet et dont la fille est scolarisée à l’école d’Arènes, à quelques mètres de là, ”ce n’est pas la circulation le problème, ce sont ceux qui font n’importe quoi.” Selon lui, cette piétonnisation doit être accompagnée d’offres de stationnement comme par exemple : ”3 heures gratuites au parking Arènes ou pourquoi pas des jetons distribués par les commerçants comme ce qui avait mis en place lors des travaux du Tram’.”

"Après 1h du matin, c'est la jungle" - Philou - Bonnie Café

Quant à Philou, qui se dit ”pour, archi pour” le projet, ”il faut que les choses changent, il y a un problème environnemental et si on ne le traite pas, c’est la catastrophe, ça gueule au moindre changement, mais on doit prendre les choses et Anne Vignot, qu’on soit pour ou contre, elle prend le problème.” Il rapporte également qu’”après 1h du matin, le quartier se transforme en jungle avec une pollution sonore et physique, donc les gens vont retrouver une qualité de vie, une qualité de sommeil aussi, j’ai enfin l’impression que le quartier Marulaz fait partie du centre-ville” avec ce projet.

Toutefois, le gérant se pose la question pour le traiteur Bonnet, situé rue de la Madeleine : ”ils ont une clientèle d’habitués avec beaucoup de séniors, beaucoup de gens véhiculés…” Il reste cependant persuadé qu’”il y a des habitudes à changer”.

© Alexane Alfaro

Autre commerçant, que nous appellerons Henry (le prénom a été changé pour préserver la demande d’anonymat), dont le magasin est situé rue Battant : ”Pour nous, commerçants, ça se discute”, nous confie-t-il, en posant la question des livraisons. Le magasin ouvrant à 10h le matin et les livreurs ayant la permission de 11h, il souhaite que toutes les bornes s’ouvrent facilement pendant ce court laps de temps. ”Nous n’avons qu’une heure pour recevoir nos livraisons donc j’espère qu’il y aura une flexibilité de la part de la police municipale”, nous dit-il.

Autre aspect, le stationnement. ”On espère que le parking Battant ne finira pas par être payant parce que sinon là, on sera dans la merde, nos clients viennent chez nous parce qu’il y a ce parking gratuit, d’ailleurs, ce que je dénonce, c’est cette distorsion de concurrence entre le centre-ville et les zones commerciales comme Chateaufarine qui ont des parkings immenses et gratuits.”

Enfin, en tant que résidant dans le quartier depuis de nombreuses années, ce riverain juge cette piétonnisation comme une bonne nouvelle ”pour laisser un maximum de place aux piétons.”

”Je commence à en avoir marre, on ne peut pas faire de commerce comme ça" - Philippe - Traiteur Bonnet

Pour terminer cette série de témoignages, nous avons discuté avec Philippe, co-gérant du Traiteur Bonnet, commerce incontournable du quartier depuis 1932 rue Marulaz et depuis 1968 rue de la Madeleine. Il a participé à la réunion du 10 juillet et se dit contre ”la manière de faire”, nous dit-il. ”Le commerce, c’est la circulation des gens, le chaland, il va où il veut, s’il ne peut pas entrer quelque part, il ne vient plus, c’est tout, c’est une utopie d’avoir les habitants qui consomment sur place et ça, tout le monde le sait… enfin apparemment non.”

Il nous confie également : ”Je commence à en avoir marre, on ne peut pas faire de commerce comme ça, c’est vraiment se couper la branche sur laquelle on est assis et puis après la voiture, ce sera quoi le bouc émissaire ? Il faudra mettre la faute sur qui pour gagner les élections ?”, se demande-t-il en dénonçant une ”idéologie” comme moteur du projet de piétonnisation. ”Le seul accident qu’il y ait eu dans la rue, c’était à cause d’un vélo qui descendait à fond et qui a percuté mon chef de laboratoire et les policiers interviennent uniquement pour des bagarres et ramasser des ivrognes”, souligne le gérant. 

Enfin, lui aussi pense à d’autres solutions telles que des radars. Et de conclure : ”il faudra déménager, mais je n’ai plus l’âge d’aller travailler ailleurs.”

© Alexane Alfaro

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