Procès Péchier : "je regrette de ne pas avoir pu protéger mon patient de la folie d’un homme" (Loubna Assila)

Publié le 26/11/2025 - 17:10
Mis à jour le 26/11/2025 - 17:19

VIDÉO • La cour d’assises du Doubs a abordé ce mercredi 26 novembre 2025 les deux derniers décès du dossier Péchier actuellement jugé pour 30 faits d’empoisonnements dont 12 mortels entre 2008 et 2017. L’anesthésiste Loubna Assila qui avait refusé l’entrée de son bloc à Frédéric Péchier lors de l’arrêt cardiaque d’une des deux victimes, a livré un témoignage poignant et accablant l’ex-anesthésiste ce mercredi devant la cour. 

Bertrand Collette, 56 ans, et Henri Quenillet, 73 ans, sont tous deux décédés, respectivement en octobre et novembre 2016, après des arrêts cardiaques suspects lors de leurs opérations à la clinique Saint-Vincent. Plusieurs points communs ont été relevés par les policiers : les deux patients étaient les premiers de la journée opératoire ; les deux jours, le docteur Péchier était arrivé bien avant ses collègues, dès 6h00 du matin, à la clinique ; il travaillait dans le bloc contigu à celui où étaient opérés ces patients et s'était présenté pour aider à leur réanimation.

Les enquêteurs soupçonnent le docteur Péchier d'avoir introduit, le matin même des interventions, du potassium dans les poches de perfusion utilisées pour les anesthésies afin de provoquer des arrêts cardiaques. L'accusé de 53 ans a toujours contesté et clamé son innocence.

Frédéric Péchier et son avocate Julie Péchier. © Élodie R.

Parmi les personnes entendues par la cour ce mercredi, l’anesthésiste en charge du patient Henri Quenillet, Loubna Assila, aujourd’hui médecin anesthésiste réanimateur chirurgical au CHU de Besançon, a déposé à la barre son témoignage précis et étayé de nombreux faits marquants après être ensuite longuement interrogée par la cour, le ministère public et les avocats. 

Arrivée en novembre 2015 à la clinique Saint-Vincent elle y décrit une ambiance "extrêmement virile", dans laquelle règne "une hostilité vis-à-vis de deux jeunes femmes anesthésistes" (NDLR : elle-même et le docteur Anne-Sophie Balon-Dole) et où "un certain nombre de praticiens considèrent que la priorité absolue c’est l’argent, la médecine n’étant pas une fin en soi mais un moyen de devenir très riche". Elle constate vite aussi le nombre anormalement élevé d'EIG (évènements indésirables graves) à la clinique Saint-Vincent.

Une querelle téléphonique avec l'accusé

Dans cette ambiance délétère où de nombreux conflits font actuellement rage (querelle entre anesthésistes et infirmiers sur la revalorisation salariale, conflit entre le couple Serri-Nambot et Péchier et le départ forcé de Catherine Party), la nouvelle venue, qui a repris la gestion de la société des anesthésistes, a une conversation téléphonique houleuse le 6 octobre 2016 avec Frédéric Péchier qu’elle accuse d’être responsable de la mauvaise ambiance régnante au sein des anesthésistes. Le lendemain Frédéric Péchier lui rétorque par mail qu’elle est "une jeune associée indigne".

Mis à mal par ses échanges et alors enceinte de sept mois, Loubna Assila est placée en arrêt de travail le 16 octobre 2016. Elle relate à la cour avoir eu "beaucoup de peine car Frédéric Péchier n’a eu aucune retenue concernant mon état alors même qu’il avait eu connaissance de mon histoire obstétricale douloureuse" (NDLR : la perte de jumeaux en 2015).

Dès son retour à la clinique Saint-Vincent quelques semaines plus tard, son premier patient n’est autre qu’Henri Quenillet, victime d’un arrêt cardiaque en fin d’intervention alors même que son état ne présentait aucune contre-indication et qu’il avait été considéré comme "en pleine forme physique" par son cardiologue. "J’ai rien compris à ce qu’il s’est passé" se remémore Loubna Assila qui à l’époque avait demandé l’aide du cardiologue et de l’anesthésiste de garde, le Dr Pingat "conformément au protocole de la clinique", et s’était extraite du bloc pour appeler la régulation de l’hôpital. Elle croise alors le docteur Péchier dans le couloir menant à la salle d’opération et lui signifie "par un regard extrêmement sombre et dissuasif que je n’ai pas besoin de lui pour la réanimation", il fait alors demi-tour.

"C'est un monstre"

Commence alors une longue "descente aux enfers" explique l’anesthésiste. Malgré les nombreuses tentatives de soin, le patient décédera finalement après un second arrêt cardiaque. À la barre, la praticienne n'a aucun doute : le septuagénaire est mort d'une "hyperkaliémie (excès de potassium) d'origine exogène, le mode opératoire à ce moment-là affectionné par M. Péchier". 

Plus tôt avant elle dans la matinée, le médecin au service de réanimation médicale du CHU de Besançon, Hadrien Winiszewski, avait peiné à expliquer le rebond de kaliémie observé chez le patient.

Quand elle apprend son décès, Loubna Assila en informe l’infirmière anesthésiste alors qu’elles sont dans un vestiaire en présence de Frédéric Péchier qui aurait alors eu, selon elle, "une réaction jubilatoire". Elle demandera une autopsie à la veuve d’Henri Quenillet qui la refusera estimant que son mari a déjà subi suffisamment d’opérations de son vivant. Un choix "qu’elle ne doit pas aujourd'hui regretter" a précisé l’anesthésiste car celle-ci n’aurait pas été "contributive, puisque l’arrêt cardiaque de son mari c’est une hyperkaliémie exogène".

À l’issue de sa déposition, son avocat lui demande de qualifier Frédéric Péchier, réponse "c’est un monstre" a-t-elle lâché. Alors qu’elle-même avoue culpabiliser de ne pas avoir pu sauver M. Quenillet, de ne pas être parvenu à "le protéger de la folie d’un homme", elle dit de Frédéric Péchier qu’il n’est "pas capable de culpabilité, c’est une planche de bois". 

Un accusé enfermé dans "sa forteresse de mensonges"

À la suite de cet événement, l’anesthésiste dit avoir vécu une période compliquée qui l’a menée à "un mariage en lambeaux" et à une "dépression sévère". Aujourd’hui, elle a expliqué entre deux sanglots, aller mieux grâce à "la simple existence de mon fils, du soutien de ma famille, de mes amis et de mes collègues qui m’ont remis le pied à l’étrier". Preuve pour elle que l’affaire Frédéric Péchier a également touché "énormément de soignants" même si "je n’ai pas l’indécence de placer ma souffrance au même niveau que les familles endeuillées visées dans leur chaire". 

Le Dr Assila a finalement quitté la clinique, "une scène de crime, où des patients ont été assassinés", pour rejoindre le CHU de Besançon. À l’égard du "docteur Péchier, enfin, du docteur… de Frédéric Péchier" se reprend-elle, elle a finalement déclaré qu’elle avait "l'intime espoir qu'il fasse des aveux mais je pense qu’il s’est enfermé dans sa forteresse de mensonges et je souhaite de tous mon coeur que les jurés auront le discernement suffisant pour le juger coupable pour les 30 empoisonnements".

Pendant toute la durée de son intervention, à quelques mètres d’elle, Frédéric Péchier est resté impassible, à relire ses notes et écouter sans même échanger un mot avec son avocate, sa soeur Julie Péchier, qui n’a eu aucune question à poser à Loubna Assila. 

La veuve de la victime prise d'un malaise

En fin de matinée, la nièce d’Henri Quenillet, Sandrine Chalandre, a tenu à déclarer quelques mots à la cour et rappeler quelques lignes du serment d’Hippocrate "je ne me laisserai pas influencer par l’appât du gain et la recherche de la gloire" et "je ne me procurerai jamais la mort délibérément". Au même moment, sa tante, la veuve d’Henri Quenillet, submergée par l’émotion, s’est effondrée d’un soudain malaise. Une nouvelle preuve de l’émotion toujours intacte chez les victimes de cette affaire. 

La famille des victimes convaincue de la culpabilité de l'accusé

Lors de la pause méridienne, deux des nièces d’Henri Quenillet, Sabrina Poulignot et Sandrine Chalandre se sont exprimées devant notre caméra de maCommune.info.

(avec AFP)

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