Dans la matinée le professeur Tracqui, expert judiciaire pour la cour d’appel de Besançon qui dirigeait le service de médecine légale du CHU de Besançon au moment des faits et le professeur Diemunsch, anesthésiste-réanimateur au CHU de Strasbourg ont livré leur expertise médico-légale réalisée à la demande du juge d’instruction concernant les cas Simard et Gandon des 11 et 20 janvier 2017.
Présent dans la salle d’audience, le professeur Tracqui a expliqué avoir été sollicité au printemps de l’année 2017 pour réaliser, au total, dans le cadre de ce procès : 57 expertises et quatre autopsies. Un travail qu’il a mené conjointement avec le professeur Diemunsch, basé à Strasbourg et présent quant à lui en visio-conférence.
Du jamais vu pour les experts
Après le rappel de toute la chronologie des faits concernant le cas Simard, les experts ont conclu "avec un très haut degré de probabilité" que l’arrêt cardiaque de Sandra Simard est "bien dû à l’administration d’une dose massive de potassium par voie intraveineuse et selon toute évidence par cette poche à perfusion numéro 6".
Les experts ont par la suite répondu aux questions de la juge Thierberge : une des poches placées sous séquestre contient une dose massive de potassium, "cela peut-il être dû à une erreur de fabrication ?" L’expert Tracqui répond "au regard des multiples verrous de sécurité qu’il existe dans le cadre de la fabrication de ces poches et compte tenu de la manière dont cela est vérifié, on peut absolument écarter l’hypothèse d’une erreur de fabrication". L’expert a d’ailleurs ajouté qu’il n’avait "jamais rencontré ou lu un article médical faisant mention d’une telle quantité de potassium (100 fois supérieur au taux requis)" dans une poche de perfusion.
"Il peut être conclu avec un très haut degré de probabilité que l’arrêt circulatoire survenu chez madame Simard était bien dû à l’administration d’une dose massive de potassium par voie intraveineuse" a conclu lors de son analyse l’expert Tracqui. En revanche, l’heure de l’empoisonnement a été soumise à débat. Soit c’est la première perfusion de 7h15 qui est en cause, soit celle de 8h50. Il y a une "grosse incertitude" autour de cette information, a rapporté l’expert.
Premier interrogatoire de Péchier
En ce début d’après-midi, la présidente Delphine Thieberge a procédé à la lecture des dépositions de madame Chays, assistante de direction à la clinique Saint-Vincent au moment des faits. Puis, après une courte suspension d’audience, la parole a enfin été laissée à Frédéric Péchier qui trépignait de ne pouvoir s’exprimer depuis une vingtaine de jours.

Dans le public, ils étaient nombreux à avoir patiemment attendu devant les portes du tribunal pour être présents lors de l’interrogatoire de l’anesthésiste. À 15h30, lors de la pause et malgré une salle comble, une trentaine de personnes attendaient encore devant les portes du tribunal pour espérer entrer.
Frédéric Péchier, qui clame son innocence depuis le début de l’affaire a enfin eu le droit à la parole qu’il attendait tant ce lundi après-midi à 15h45. "Quand il y avait un problème, on m'appelait facilement": entendu pour la première fois par la cour d'assises sur les faits, l'ex-anesthésiste Frédéric Péchier a défendu lundi avec assurance la manière dont il est intervenu pour porter secours à des patients victimes d'arrêts cardiaques, et qu'il est soupçonné d'avoir empoisonnés.
"Si je suis appelé c'est qu'il y a une bonne raison"
"Dans les 30 cas où je suis mis en cause, (...) j'ai été appelé" pour porter secours en urgence, a souligné à la barre l'accusé de 53 ans, qui comparaît libre mais risque la réclusion à perpétuité pour 30 empoisonnements dont 12 mortels. Si "je suis appelé, c'est qu'il y a une bonne raison", a poursuivi l'ancien praticien.
La première partie de son interrogatoire, lundi après-midi, a porté sur l'empoisonnement présumé de Sandra Simard, une patiente alors âgée de 36 ans et en bonne santé, victime d'un arrêt cardiaque le 11 janvier 2017 alors qu'elle devait subir une simple opération du dos.
"Manifestement, il y a eu une poche (de perfusion) empoisonnée", a reconnu pour la première fois Frédéric Péchier, qui avait jusqu'à présent contesté que cette patiente ait été empoisonnée. Pour autant, "je n'ai pas empoisonné la poche de Mme Simard. C'est net. C'est tout ce que j'ai à vous répondre", a insisté l'ancien médecin, qui a toujours clamé son innocence. D'une voix claire et posée, il a justifié ses choix thérapeutiques pour venir en aide à Mme Simard. La semaine dernière, le parquet et les représentants des parties civiles s'étaient étonnés qu'il lui ait administré en urgence du gluconate de calcium, un produit utilisé pour aider le coeur en cas d'excès de potassium.
Le gluconate de calcium, une habitude de l'anesthésiste
Or l'enquête montrera par la suite que Mme Simard avait été empoisonnée avec une forte dose de potassium dans sa perfusion, ce que l'anesthésiste n'était pas censé savoir à ce moment-là. Pour plusieurs experts interrogés par la cour, faute de détenir cette information, ce choix était incompréhensible. Un point vigoureusement contesté par l'accusé lundi : selon lui, "le gluconate de calcium n'est pas l'antidote" de l'excès de potassium.
La présidente le met alors face à la parole de ses confrères qui soutiennent que l’utilisation de gluconate de calcium ne s’effectue jamais en première intention lors d’un arrêt cardiaque contrairement à une utilisation systématique du docteur Péchier. Mais l’anesthésiste ne se démonte pas "vous m’avez posé trois fois la même question", et s’entête à répéter inlassablement : "j’ai prescrit du gluconate comme je le fais habituellement" avant de rappeler que cette prescription intervient "après l’injection d’adrénaline et le massage cardiaque" même si ce dernier venait d’être débuté, a à son tour préciser Thieberge.
Du favoritisme dans les plannings ?
Au fur et à mesure des échanges, l’accusé prend peu à peu de l’assurance et se défend avec véhémence. La présidente revient ensuite sur un mail de Péchier où il s’adresse à ses collègues qu’il traite de "comploteurs". L’anesthésiste explique que cela intervient à la suite d’une réunion, qui aurait eu lieu "dans (son) dos" et qui aurait débouté le docteur de son envie de partir en solitaire du service. Ce à quoi Thieberge rétorque "à l’issue de cette réunion vous étiez donc suffisamment en colère car ça allait contre un projet que vous aviez ?". Ce à quoi Péchier répond "oui mais être en colère ça ne veut pas dire empoisonner quelqu’un, je vois où vous voulez en venir mais ça n’a aucun rapport".
La présidente interroge également Frédéric Péchier sur le fait qu’en tant que gestionnaire des plannings de la clinique Saint-Vincent il était donc en mesure de se favoriser. "Non je ne me favorisais pas au contraire" a-t-il rétorqué. Une réponse qui ne convainc pas la présidente Thierberger qui a mis en avant les revenus fiscaux du médecin de 2014, 2015 et 2016 de l’ordre de plus de 300.000€ par an contre des revenus compris entre 160.000 et 180.000€ pour ses confrères lors des mêmes années.
Une mémoire défaillante
Péchier est ensuite bousculé par l’avocat général Thérese Brunisso qui lui rappelle que "personne ne dit vous avoir appelé" lors de l’arrêt cardiaque de Simard alors que l’anesthésiste a déclaré un peu plus tôt à la juge qu’il arrive dans le bloc après un appel reçu. Frédéric Péchier est dans l’incapacité de donner le nom de la personne qui l’aurait prévenu mais insiste "si je suis intervenue dans le cas de madame Simard c’est que j’ai été appelé. Si j’ai fait interrompre un bloc ORL, c’est que manifestement j’ai été appelé".
L’avocate générale poursuit : "aujourd’hui, vous convenez que madame Simard a été empoisonnée, mais vous ne mettez pas en cause le docteur Serri", réponse de Péchier : "Non, je le mets en cause pour l’affaire Gandon". "Il y a donc pour vous deux empoisonneurs ?" réplique Thérèse Brunisso. "Non un seul empoisonneur qui aurait pu continuer si on n’avait pas sécuriser les blocs, qui a gentiment arrêté dû fait de ma mise en examen" explique Péchier, avant d’ajouter "l’empoisonneur s’en prend désormais aux endoscopes".
Un mode de défense "un peu particulier"
Christine de Curraize prend ensuite en charge le deuxième round et pointe du doigt le mode de défense "pas vu pas pris" de l’accusé. L’avocate générale rappelle une conversation téléphonique de l’accusé où il déclare "personne ne m’a vu contaminer une poche, je suis intouchable".
Maître Stéphane Giuranna revient sur le nombre éventuel(s) d’empoisonneur(s). Pour Frédéric Péchier le docteur Serri n’a empoisonné que Jean-Claude Gandon. Mais fait nouveau, l’anesthésiste a également reconnu que madame Simard a été empoisonnée. L’anesthésiste aurait été convaincu "depuis quelques semaines" par les différentes expertises menées. Alors, "combien d’empoisonneurs ?" Insiste Giuranna. "Il y a au moins un empoisonneur, il faudrait demander à celui qui a endommagé les endoscopes" rétorque Péchier. "Vous comparez 30 empoisonnements avec une destruction de 30.000 €" lui répond l’avocat outré.
Le coupable idéal ?
Jusque-là bousculé par l’accusation, Frédéric Péchier obtient un léger répit avec les questions de la défense de maitre Schwerdorffer. "Vous n’avez pas d’éléments à apporter à la cour d’assises pour savoir qui est l’empoisonneur ?" demande-t-il à son client, réponse "non". Maître Schwerdorffer met également en avant le fait que les enquêteurs "ne se sont penchés que sur votre emploi du temps à vous", mais "savez-vous qui a appelé le docteur Serri lors de l’arrêt cardiaque de madame Simard ?" Là encore la réponse est négative. "Êtes-vous intervenu dans les cas cités sans que l’on ne vous ait appelé ?" Toujours non. Finalement, pour le docteur Péchier, la réponse est simple, dans cette enquête "tout a été fait pour me mettre sur le dos ces empoisonnements et éviter la fermeture de la clinique Saint-Vincent".
L’audience reprendra dès demain à 9h avec l’examen des premiers faits de 2008 concernant les cas Damien Iehlen et Suzanne Ziegler. Le prochain interrogatoire de Frédéric Péchier est attendu le mercredi 24 septembre 2025 après-midi. Il comparaît libre, mais risque la réclusion criminelle à perpétuité.
(Avec AFP)