Construire de nouveaux EPR, un défi pour la filière nucléaire

Publié le 13/02/2022 - 13:00
Mis à jour le 13/02/2022 - 10:38

 © CC2 Spiritrespect
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Ce sera une "renaissance du nucléaire français", a promis Emmanuel Macron, mais la construction d’au moins six nouveaux EPR représente un véritable défi pour une filière fragilisée, qui reste sur l’échec cuisant de Flamanville.

Le président a annoncé jeudi à Belfort six réacteurs de nouvelle génération EPR2, avec une première mise en service à l’horizon 2035. À cela s’ajoute l’étude pour huit exemplaires de plus. L’investissement sera de "52 milliards d’euros pour 6 nouveaux réacteurs EPR, plus des études sur huit nouveaux réacteurs possibles, plus des recherches sur des réacteurs modulables", a chiffré vendredi le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire.

"C’est une intention mais il y a un certain nombre d’étapes importantes qui vont prendre cinq ans", a souligné Valérie Faudon, la déléguée générale de la Société française d’énergie nucléaire (SFEN). Avant même d’entamer les travaux pour un EPR, il faut en effet organiser une enquête publique sur le premier site envisagé, celui de Penly (Seine-Maritime) et obtenir un certain nombre d’autorisations administratives. Emmanuel Macron envisage ainsi un début de chantier en 2028. "L’échéance de 2028 qu’il a dessinée n’est pas impossible à tenir mais est déjà en soi optimiste vis-à-vis des différentes étapes à franchir", juge Yves Marignac, expert nucléaire de l’association NégaWatt.

"Folie des grandeurs ?"

Ce qui n’empêchera pas les industriels de se préparer en forgeant par exemple un certain nombre de grosses pièces essentielles. "Il faut faire redémarrer une filière qui tourne à petite vitesse", estime un haut responsable du secteur. Les industriels français s’occupent aujourd’hui essentiellement de fournir des pièces pour les deux EPR en construction en Angleterre (Hinkley Point C) et de terminer le chantier maudit de Flamanville (Manche). Ce dernier, marqué par plus de dix ans de retards et d’importants surcoûts, est de mauvais augure quant à la capacité à construire des réacteurs à l’heure et dans les limites financières fixées, selon les détracteurs de l’atome.

Les EPR promis par Emmanuel Macron, "c’est au mieux 2040-2045", a dénoncé Yannick Jadot, le candidat écologiste à la présidentielle. Le prix annoncé "va au moins doubler à 100 milliards pour ne pas produire d’énergie avant 2040-2050", estime Paul Dorfman, de l’université du Sussex, s’interrogeant sur "la folie des grandeurs" dont témoigneraient le nouveau projet.

Un démarrage en 2035 est "extrêmement optimiste au vu du retour d’expérience en Europe" sur les autres EPR, estime aussi Yves Marignac. "On peut s’interroger sur le réalisme d’une planification de ce type qui fleure bon le retour aux années 70", sachant que "les temps ont changé" pour l’industrie française par rapport à cette période de forte croissance, souligne-t-il.

"On a un futur"

"Nous avons tiré les leçons de la construction d’EPR en Finlande, où il est aujourd’hui achevé, et en France à Flamanville", a assuré pour sa part Emmanuel Macron. L’Élysée reconnaît les déboires rencontrés sur le chantier normand mais les attribue à la "perte de compétence due à une interruption trop longue du flux de construction de réacteurs".

Un constat largement partagé par les industriels, qui regrettent un "trou" dans le programme nucléaire français entre la mise en service du dernier réacteur à Civaux à la fin des années 1990 et la mise en chantier de Flamanville en 2007. Du côté de l’exécutif, on estime qu’on "n’est plus dans cette situation" de pertes de compétences.

Pour tirer les leçons des dérives de Flamanville, EDF a mis en place un plan d’excellence pour l’ensemble de la filière et les industriels vont par exemple ouvrir une école de soudure – une des spécialités qui avait fait défaut à Flamanville. Il faudra pourtant bien passer à la vitesse supérieure pour les nouveaux chantiers. Le président de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), Bernard Doroszczuk, a demandé "un véritable plan Marshall".

Le secteur, qui compte 220 000 salariés, compte sur les annonces du président pour embaucher. "On avait du mal à embaucher parce que les gens nous disaient : quel est votre futur? Et là on a un futur et je pense que ça va attirer les talents", espère Valérie Faudon. EDF prévoit déjà de recruter près de 3 300 personnes dans le domaine du nucléaire cette année, dont 1 600 ingénieurs.

Le poids et les enjeux du nucléaire en France

La France avec ses 18 centrales et 56 réacteurs reste le pays au monde le plus dépendant de l’énergie nucléaire pour sa production électrique. Tour d’horizon du nucléaire français et de ses enjeux:

Deuxième parc au monde

Le parc nucléaire français est le deuxième plus important au monde derrière celui des États-Unis (93 réacteurs) avec un total de 56 réacteurs nucléaires (ou tranches) d’une puissance de production d’environ 61 000 mégawatts (MW). Les centrales nucléaires françaises en activité, réparties sur 18 sites, fournissent environ 70% du total de l’électricité produite dans le pays. C’est de loin la plus forte proportion au monde devant la Slovaquie (53%), l’Ukraine (51%) et la Hongrie (48%).

A eau pressurisée

Les réacteurs français en activité utilisent tous la technologie dite de deuxième génération, à eau pressurisée et sont gérés par EDF. Après la fermeture en juin 2020 de la centrale de Fessenheim (Haut-Rhin) inaugurée en 1977, celle de Bugey (Ain) est devenue la doyenne des centrales françaises en activité (mise en service en 1979). La plupart des sites nucléaires en activité ont commencé à fonctionner dans les années 1980. C’est le cas pour Tricastin (Drôme), Gravelines (Nord), Flamanville (Manche) ou Cattenom (Moselle). Les centrales les plus récentes sont celles de Chooz (Ardennes), entrée en service en 2000 et de Civaux (Vienne) qui a démarré en 2002.

Durée de vie

En France, l’autorisation d’une installation nucléaire "est délivrée sans limitation de durée", selon l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Cette dernière mène un réexamen approfondi tous les 10 ans. Les réacteurs français actuels avaient toutefois été conçus sur la base d’une "hypothèse" de 40 années de fonctionnement. EDF compte exploiter la plupart de ses réacteurs nucléaires jusqu’à 60 ans, sur le modèle de ce qui se fait aux États-Unis ou en Suisse. En 2022, 11 réacteurs doivent subir des travaux de maintenance ou de contrôle, soit environ 20% du parc.

Démantèlement long et couteux

Le coût brut du démantèlement de l’ensemble des réacteurs à eau pressurisée avait été estimé en 2015 à 75 milliards d’euros par EDF, montant jugé sous-estimé par un rapport parlementaire de février 2017. EDF procède déjà à une dizaine de démantèlements. Il s’agit des réacteurs de première génération mis en service entre 1963 et 1986 qui utilisaient la technologie graphite-gaz. Un rapport de février 2020 de la Cour des comptes notait des "importantes dérives de coûts prévisionnels" pour les démantèlements en cours. Les opérations de démantèlement des deux tranches de Fessenheim sont prévues sur une durée de 15 ans, selon un plan diffusé en mai 2020 par EDF. Le coût pour le démantèlement d’un seul réacteur a été évalué par le groupe public entre 350 millions d’euros et 500 millions d’euros.

Les déboires de l’EPR

Un premier réacteur dit de troisième génération, baptisé EPR pour réacteur pressurisé européen, est en cours de construction depuis 2007 à Flamanville. Mais cette nouvelle technologie présentée comme le "fleuron" de la filière nucléaire avec une puissance élevée de 1 650 MW par réacteur et des systèmes de sécurité supplémentaires, accumule retards et déboires. Alors qu’il devait initialement entrer en service en 2012 pour un coût de 3,3 milliards d’euros, ce réacteur ne devrait finalement démarrer qu’en 2023 pour un coût total réévalué à 12,7 milliards d’euros

La question des déchets

Les centrales nucléaires françaises ont produit environ 50 000 mètres cubes de déchets radioactifs "à vie longue" (actifs pendant plus de 300 ans) depuis leur entrée en service. Ces déchets sont traités à l’usine de retraitement d’Areva de La Hague: 95% sont recyclés en nouveau combustible et 5% sont transformés en déchets vitrifiés. Le projet Cigéo prévoit de stocker à 500 mètres sous terre à Bure (Meuse) 85 000 m3 de déchets radioactifs, à partir de 2035, ce qui suscite une opposition locale.

(Julien MIVIELLE – AFP)

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